Car effectivement, suivant la leçon un peu pathétique du Titanic et d'un paquet d'autres patapoufs des mers mal conçus ou menés par des andouilles notoires, la logistique et tout l'appareil superviseur de la construction a commencé bien en amont des premières études concrètes de charpenterie : le principal problème était celui de l'évitement des icebergs, dans une ordre d'idée de temps assez rapide si cela est possible—il est bien connu que, à la manière des platanes, les icebergs surgissent au beau milieu de la ligne de conduite, l'on se demande même à force si les deux ne sont pas liés, si les platanes ne poussent pas exclusivement sur la banquise avant d'être replantés aux bords des routes ; cela peut ou doit pouvoir aussi s'expliquer par la physique des glaçons, qui bien souvent dans un whisky-coca (par exemple, exemple pratique) remontent de manière impromptue sous les perturbations qui les avaient vu s'enfoncer un tantinet—, d'abord envisagé sous l'angle du sursaut et de l'absence de contact pure, ce qui se traduisait par de petits moteurs latéraux capables, d'un coup de gouvernail ou de bouton rouge, de propulser le navire à l'écart du problème, ce qui pourrait aussi servir (cela s'est dit assez véhémémment lors de la préconception) dans la perspective d'une attaque pirate ou de la chute d'une météorite, même dans l'optique où les divergences de température peuvent décider de blablabla ("— attends mec je t'explique iceberg = froid et météorite = chaud même si enfin voilà t'es sûr que t'es scientifique ? / — ouhlà attends en quoi ça a un rapport avec les moteurs ?—"), position rapidement abandonnée devant des problèmes évidents (taille qu'il faudrait pour ce genre de moteurs latéraux, surtout si on les estime "petits", ainsi que le dérangement des passagers), pour être remplacée par des élucubrations voulant faire du bateau un lieu (selon les modes du moment : magnétique ou simplement décomplexé) destiné à pouvoir se schrödingeriser (une version moins ambitieuse se voyait projeter des choses pour dédoubler l'iceberg, le faire osciller avec assez d'amplitude et de vitesse relative pour passer, un peu comme Gibraltar ou Charybde et Scylla), et comme le dit Monsieur Colvert, scientifique 4ème dan : "ce qui consisterait à faire en sorte que l'état l'iceberg n'est pas là domine pour un petit moment, vous comprenez ? le temps que tout passe l'obstacle : la transition se fait par un ensemble lié au navire lui-même : en approche de glace trop solide pour la coque, l'état—"les proportions d'états"—se modifie—"nt"—comme par pression d'un interrupteur. D'un saut prévu, d'un grandissement d'échelle, seul l'iceberg est témoin du changement quantique qui embrasse le lieu… et cela pourrait servir pour bien plus, imaginez votre nom accolé à un Prix Nobel ou dans la bouche de la crème intellectuelle".
Il continuera un brin, improvisant pour donner un aspect lissé et réaliste à la chose : "aucune indisposition des passagers, qui seront mis au courant d'une attraction fantolographique spéciale", et dans un élan d'intelligence, stoppa son babil avant de donner une approximation du nombre de chats nécessaires à l'opération. Tout ceci fut rapidement abandonné : malgré la motivation de ses défenseurs, Colvert en tête, l'incapacité de la mettre en pratique et plus globalement d'avancer une théorie concrète, viable ou simplement cohérente sur le plan adéquat, tout ceci couplé à un amateurisme certain ("votre naïveté me donne envie de vomir" ; un fan avant l'heure ?) a prévalu. Tout cela a mené à une théorie à propos du verre ou d'autres matériaux plus ou moins transparents (plexiglas et autres choses de tintinophiles) qui n'encombreraient pas vraiment la flottabilité ni la résistance, tout en permettant une certaine publicité ("Le premier paquebot transparent !" ou autres bêtises mornes) capable d'attirer les curieux, les actrices et les dermatologues. Après avoir compris que 1) le nombre de couches ou 2) l'épaisseur—ce qui revient sensiblement au même—annulaient d'office la possibilité de translucidité (un des scientifique en marche sur ce projet a proposé après coup de faire un bateau normal, entouré d'une dernière couche de bidule pas très opaque où les gens pourraient venir faire les observateurs de poissons émérites et n'a pas gagné grand-chose d'autre qu'une godasse en travers de la gueule "mais ce serait très condensé ! mais" mais oui mon con) (si on demande maintenant aux autorités de régulation, elles ne sauront pas vraiment en quoi le plexiglas ou le verre étaient supposés avoir un impact sur les icebergs, mais ça n'a pas eu l'air à l'époque de les déranger outre-mesure). La solution finalement retenue fut assez simple et consistait en une combinaison de quelques éléments : un commandant de bord sobre de naissance, des radars à la pointe de la technologie et à quelques jeux de torpilles habilement placés sur le profil sous-marin du bateau, ce qui explique peut-être sa forme, qui elle-même explique son nom : L'ENDIVE.
La plus grande question de nombre des gens concernés par la construction de L'ENDIVE était de l'ordre de celle-ci : "pourquoi supposer un iceberg alors que le trajet est Nice-New-York ?". La réponse la plus facile et la plus utilisée se basait sur : "l'Histoire ne vous a donc rien appris ?" ("mais monsieur c'était il y a plus de soixante-dix ans, on se débrouille mieux maintenant—"), une autre "sur le trajet il fait froid", mais la réelle raison était d'un autre ordre : le voyage, après être parti de Nice, avoir fait escale à Barcelone et s'être arrêté à quelque courte distance de l'Amérique, consistait en la réunion du maximum de passagers sur le pont principal au petit soir, pour leur faire décider du point d'amarrage futur, parmi deux lieux. Vers l'Alaska ou vers les Caraïbes, destinations vagues que le Commandant, Monsieur Chaala Ed Chaala, américo-marocain tétraglotte et (comme tous les grands chefs et meneurs de navires) possèdant un perroquet, bien conscient qu'une jambe de bois bien montrée est plus valorisante que n'importe quelle prothèse moderne, préciserait à chaque fois que l'approche s'annoncerait, dans la mesure du possible. Les torpilles sont donc presque nécessaires pour la voie du Nord—peut-être insuffisantes aussi—mais savent trouver leur utilité (comme les petits moteurs latéraux abandonnés) face aux bandes organisées de bandits qui sévissent le long des côtes, qu'elles soient caribéennes ou (bien en amont) espagnoles. Les torpilles elles-mêmes contiennent des canots de sauvetage gonflables, qui serviront en cas de naufrage ("on n'est jamais trop prudent ! Mieux vaut trop que pas assez !"), de blague morbide si elles sont utilisées, et à rien autrement, peut-être à amuser des petits pingouins ou des phoques si le Commandant se perd un brin. D'autres solutions (dont certaines auraient pu cohabiter avec les autres sans trop de problèmes), telles que la coque chauffante, déclamer du Saint Augustin ou survitaminer les olives des martinis, n'ont malheureusement pas été retenues.
4 commentaires:
C'est quoi, ce texte ???!!!
Me suis bien marré, en tous cas. Superbe rythme, gros délire...
Bravo.
Tout simplement excellent !
On croirait un chapitre d'un Contre-jour amphétaminé.
Il y en a qui feraient mieux de lire ENFIN "Z.W." au lieu de s'extasier !!!
(rachid, c'est vraiment ton anniv' mercredi prochain?)
Ça, c'est pour moi ;-)
Je fais ce que je peux, je fais ce que je peux... :-/
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