28.10.07

en nuit

Mardi je crois en rentrant je ne sais trop pourquoi j’ai allumé le portable et ai tapé environ une page en caractère dix en times new roman à partir d’une petite phrase pas même articulée qui me trottait juste avant dans le crâniot troublé une phrase à propos d’un mec dans quelque chose que je venais de relire reparcourir serait plus juste un mec que je n’apprécie pas spécialement tant en temps que personnage qu’en temps que fonction dans le cours du récit mais j’ai tapé tout petit un truc qui vite à réinscrire dans une optique plus large qui pouvait s’apparenter à du courant de conscience à sa forme sans ponctuation sinon pas drôle ça n’est ou beaucoup moins peut-être que l’un et l’autre sont indissociables quoi qu’il en soit ça s’est fait comme ça je n’ai rien décidé j’en ai tartiné une autre page même police même taille peut-être pour ne pas avoir à voir de loin ce qui était déjà là par moments écrit derrière le premier deux ou trois moments pas plus à lancer encore et encore des théories et idées auxquelles j’adhérais ou non sur ce mec éventuellement sur le contexte des idées pas évoquées par l’auteur ou si peu c’était ça l’intéressant de la chose mais vite en continuant à taper sans réfléchir je me suis demandé quelque chose avant de m’apercevoir que je n’étais selon toute vraisemblance pas encore capable d’écrire de la fiction même pas de la fiction de qualité on verra ça plus tard juste de la fiction sans me reposer comme un fou sur des choses déjà existantes et à extrapoler ensuite à partir d’une toile qui sert de filet mais finalement à demi pour me je ne sais pas me rassurer peut-être je me suis dit que tout le monde faisait ça qu’il était impossible d’écrire un procès ou une famille Karamazov voilà c'est ça sans s’appuyer sur le réel qu’un festin nu par exemple n’était bref que la traduction de vues en quelque sorte réelles concrètes en diable no good no bueno merde et non un acte d’invention total à peine partiel que même les conneries comme l’écriture automatique ne faisaient que repousser le problème et peut-être que continuer à écrire sans ponctuation ce fait même pouvait me permettre de cacher les imperfections la vraie fausse acohérence ou leur donner un aspect voulu je ne sais pas un aspect estompé sinon annulé par l’accumulation un effet de style une accélération du souffle qui crée un décalage encore de nouveauté finalement même si ça n’a plus rien de bien original qu’il donc était question de camoufler et de retarder l’échec fail again fail better peut-être mais fail tout court pas encore assez comment dire comment c’est peut-être que s’appuyer sur l’existant si ténu soit-il était la norme mais comme si broder voilà broder les bords broder encore en soubresauts en compagnie était la norme presque impossible à dépasser il suffit de décliner d’éviter le déclin d’éviter les dramaticules de la catastrophe de réussir à traduire le réel et lui donner une patine une texture trompeuse secrète ou non d’invention bref voulais arracher mes roulettes et sais pourtant que cette image de vélo qui vient est venue déjà est minable sais que je ne peux pas le faire à moins d’y aller tout doucement à coups de tournevis d’ongles s’il le faut ou tout envoyer en l’air d’un coup de reins à les écraser une fois au sol peut-être au bout d’un moment avec ou sans virgules mais sans cacher en piquant au réel son réel à trous à casser les axes enflammer l’artifice et en suivant notre ami Lavoisier qui avait bien raison avant d’apprendre que ce voleur avait repris sa maxime d’Anaxagore et même là rien ne se crée ne se perd tout se transforme se traduit s’écrit s’exprime se morphose se met à nu se mue c’est peut-être ça le plus gênant—

26.10.07

... you can remember your name, la lala la lalalala lala-la



et je disais donc que tout cela s’ouvre sur des Mexicains perdus à Mexico en 1975, des poètes qui par leur nature sont perdus et poètes, poètes et perdus forcément l’un ne va pas sans l’autre. Réal-viscéralistes ils se disent pour la plupart, sorte d'hommage au même groupe des années 20 aujourd’hui disparu personne ou presque ne s’en souvient vraiment, autour de deux figures qui servent en quelque sorte d’axe de la toupie de la poésie (etc.) sud-américaine—Arturo Belano, projection de l’auteur, et Ulises Lima, un ami—, qui se baladent en Amérique et en Europe, se perdent physiquement ou non peut-être un peu partout, rencontrent tous et n’importe qui.

A Juan Garcia Madero on demande d’intégrer les réal-viscéralistes. C’est son journal qui sert de première partie du roman, de roman lui-même qui amorce d’une certaine manière le jeu de piste géant auquel tout le monde se livre. Belano et Lima, chefs de file du mouvement, déjà des figures comme mythiques, restant inaccessibles et ce même quand la proximité devrait l’annuler. La fascination de Madero qui découvre la poésie le sexe l’amour le monde à la fois est touchante dans sa justesse et son absurdité, entre les fantasmes et expériences, le chaos qui le fait éjaculer un peu n’importe où. Poursuite de Belano et de Lima, hommes centraux de l’histoire et qui pourtant restent ici à la périphérie, Madero se plaçant assez évidemment au centre de son journal, jour après jour dans une envolée de baise et de son et de sucre et de sable, jusqu’à ce qu’au jour de l’an finalement Roberto Bolaño décide de passer à la partie qui nomme l’ensemble soit six cents pages qui vont de 1976 à 1996, divisées en une foule d’intervenants et laissant soin au lecteur de se demander pourquoi comment quand qu’ont fait Lima et Belano pendant deux décennies à travers trois continents, chaque personnage parlant étant lié et jamais Belano ou Lima ne prennent directement la parole, ils restent encore à la périphérie plus ou moins lointaine de chacun, de tous ces gens qui forment une toile gigantesque de France en Rwanda ou d’Israël en Mexique, et fatalement étant les personnages axiaux. Le plus magique dans tout ça est peut-être quand on se retrouve en terre inconnue et qu’on se fait embarquer dans une grotte la nuit dans un camping ou qu’on nous raconte de loin une histoire de science-fiction qui n’a que peu à voir à propos d’une riche et d’un pauvre et de clone perpétuel jusqu’à la limite de l’argent; toutes les lectures en long en large en travers ne seront au final qu’un truc en diagonale face à la pluralité, au chœur en canon des voix qui s’élèvent où l’on repère des motifs, des formes, des abstractions, des réalités et des fictions et au milieu de la toile quelque points d’ancrage qui se chevauchent sur les axes du temps ou de l’espace, nous lecteurs devenons des détectives il ne reste plus qu’à être sauvage et le mode d’emploi n’est pas fourni. Sauvage quand après vingt ans on voit Lima ou Belano, duo puis doublet de uno, suivi à travers les yeux d’une amie culturiste ou d’un mec qui nous amène au Nicaragua à moins que ce ne soit le Panama et on se perd, l’avion nous a oublié nous aussi, quand le rythme du phrasé s’accélère et qu’on a oublié depuis longtemps les définitions stylistiques de Madero, que le flux remporte à première vue le combat contre la règle, peut-être n’y a-t-il jamais eu de combat ou peut-être il se déroule sur un ring de carton et que les deux choses se lucha librent la gueule, avec une idée derrière la tête, tout ça scénarisé mais tellement impressionnant, c’est pour ça qu’on regarde, l’intensité de la chose dépourvue de toute velléité de résultat (sportif—hors de l’affrontement, le résultat est dans l’exécution), l’intensité pure du momentum et du climax, l’excitation intertextuelle qui vibre et foudroie, le son qui a une couleur. Sauvage sans l’être quand on voit peut-être trop tard qu’un était là, détective quand tous s’adressent à nous, ou mieux à la projection du nous qui les interroge au milieu du bouquin, peut-être détective en cherchant ce pauvre Madero totalement oublié comme a été oublié le premier mouvement du réal-viscéralisme, faux sauvage sur la présélection des textes qui fait de nous des détectives de second ordre, à chercher là où ça a été défriché, à sauvager donc pour voir plus loin.
Perdus comme en cette page 659, « Elle est partie dans un sens et moi dans l’autre. », toujours croisés.



Et quand cette question, sur la fin, devient abordée de front, au spécialiste actuel (1996) du réal-viscéralisme, au seul spécialiste de la chose, tout s’achève et la troisième partie arrive, suite immédiate de la première, en adéquation avec la deuxième et qui comme les autres peut se suffire à elle-même comme s’observer dans une logique qui englobe d’autres écrits (on pense à Kerouac). Troisième partie qui joue entre fuite et poursuite, entre des maquereaux pas content pour un sou et Cesárea Tinajero, prêtresse poétesse de Lima et Belano, du Madero qui part avec eux dans une Impala vieillissant trop vite, à les interroger sur la poésie et ses formes antiquement précises. De la première partie peinture caricature du milieu et des jeux d’apparences qui en sortent, des lancées de sang on passe à la projection, à recoller les morceaux d’avant et d’après peut-être jusqu’à la fin, à peut-être aussi crier dans le désert ou le sable croque et devient arène, à suivre la double mysticité entre Madero et Lima et Belano et Tinajero, que l’on peine à toucher, que l’on peine à atteindre, en observant la vie en clignotant de ces mecs sonores, et au final on ouvre la fenêtre, ça reste le meilleur moyen de voir ce qui se trouve hors, éventuellement de sortir. Même s’il n’y a rien.

19.10.07

Percé perçu.

Seul reste le visage. Du reste sous la couverture nulle trace. Pendant l’inspection soudain un bruit. Faisant sans que celle-là s’interrompe que l’esprit se réveille. Comment l’expliquer ? Et sans aller jusque-là comment le dire ? Loin en arrière de l’œil la quête s’engage. Pendant que l’événement pâlit. Quel qu’il fût. Mais voilà qu’à la rescousse soudain il se renouvelle. Du coup le nom commun peu commun de croulement. Renforcé peu après sinon affaibli par l’inusuel languide. Un croulement languide. Deux. Loin de l’œil tout à sa torture toujours une lueur d’espoir. Par la grâce de ces modestes débuts. Avec en seconde vue les ruines du cabanon. A scruter en même temps que l’inscrutable visage. Sans plus la moindre curiosité.

Samuel Beckett, Mal vu mal dit.

vous êtes cernés

En tentant de relire activement, lentement à la fois un seul chapitre d’Against the Day (qui est en cours de pseudo décorticage pour m'amuser), attendant la première relecture prochaine, j’ai pris conscience, après quelques six mois qui m’auront vu retripoter cet énorme bouquin et en acquérir même déjà un deuxième exemplaire, et alors même que j’ai vu les mots en questions des centaines de fois, j’ai pris conscience d’un autre niveau à la toute fin du roman. Me suis dit que j’avais été aveugle. Me dit maintenant naïf de considérer avec intérêt la naïveté et l'évidence de la chose. They fly toward grace*, nous dit-il. Normalement ce « they » consiste en les Chums of Chance (la fameuse Confrérie des Casse-Cou) et leur tribu annexe, puis on se dit que finalement la majorité des personnages rencontrés peuvent être compris dans le tas. Ça, c’était la compréhension en avril (ou mai). Qui contenait implicitement celle de maintenant.
Pour mieux voir tout ça, je crois qu’il est nécessaire de rappeler le statut des Casse-Cou ; ce sont des héros de fiction à l’intérieur de la fiction. Il agissent à différents niveaux, existent dans le monde d’AtD en tant qu’entités réelles, et existent au sein de ce monde également en tant qu’entités virtuelles, leur statut observé étant un mélange des deux vues, en faisant des personnages qui auront toujours le même âge, ne changeront pas tout en agissant directement. Sauf que. Bref. Les constantes références à leurs précédentes aventures sous formes de dime novels renforcent leur irréalité, et dans la majeure partie du roman — contrairement aux autres personnages — la trame de leur histoire est emplie de trous, comme s’ils apparaissaient directement en situation, leur contexte étant juste présent sous forme de background et non comme composante de leurs aventures. Je précise « dans la majeure partie » étant donné qu’ils remettront au fil du temps leur identité propre en tant que personnages de fiction, en tant qu’entités réelles, mais ça n’est pas la question (qui reste d’un intérêt certain). Ce qu’est la question, une des questions à laquelle répond la fin, c’est la disparition de la fiction chez les Casse-Cou (est-il plus juste de dire que c’est « un type de fiction » qui part avec eux ?) .
Depuis quelques pages, quelques chapitres même, la fiction et le côté figé qui allait avec disparaissent, s’évaporent. De personnages encore irréels et somme toute innocents, ils deviennent des entités de chair, sortant de la fiction, plus consistants, plus humains, moins « innocents » donc, en allant vers la grâce. Magie magie de la substance qui les conduit au niveau du dessus. Plus que depuis quelques pages ou quelques chapitres, c’est probablement depuis le tout début du roman que se déroule le processus d’émancipation des Casse-Cou par rapport à la fiction. Et si la formule finale n’est après tout qu’une autre version du « they lived happily ever after » (sans forcément avoir beaucoup d’enfants) (d'ailleurs ici la phrase est au présent...), soit un retour à une des plus élémentaires caractérisations du conte, ça n’en est que plus fort, non ?

Vite éviter de s’étendre sous peine de parler de n’importe quoi…


*— AH BATARD CATARRHE TU SPOILES §§§
— Je suis pas catarrhe. D’ailleurs on dit cathare.
— C’était une licence poétique.
— Okay. Quoi ?
— TU SPOILES !!1!
— Je suis un gentleman, ça compense.

17.10.07


Bien ! Maintenant que j'ai habilement/subtilement capté votre attention, je signale que dans chaque bonne crémerie, depuis quelques jours, vous devriez pouvoir trouver dans les rayonnages bédés (nippones si c'est classé comme ça) River's Edge, de Kyôko Okazaki. Et, malgré la couverture qui est un modèle de laideur, c'est beau.

15.10.07

grip

"La maladie n'est peut-être, après tout, qu'une accélération de la vie."
Yukio Mishima, Une soif d'amour


Des gamins en phase terminale qui vont à Disney World, on peut oui oui je crois bien qu'on peut résumer le dehors de The Magic Kingdom de cette façon.
Déjà, le pourquoi : Eddy Bale a lui-même perdu son fils de douze ans, Liam, après quatre ans de maladie. A d'ailleurs peu après cela été abandonné par sa femme, ce qui est intimement lié et sera évoqué par touches un peu rêches (on comprend qu’Ed rechigne a évoquer son départ, plus vexé que triste au premier abord) puis frontalement vers la fin du roman, dans une autre sorte de cyclicité. Depuis, disons qu'il est un peu obsédé, est devenu le personnage de sa propre semi-tragédie, et s'est débrouillé pour mener à bien un projet, qui consiste à faire aller quelques gamins, tous en phase terminale de différentes maladies— progéria, maladie de Gaucher, fibrose cystique, etc.— , à Disney World, pour un voyage d'une semaine, le genre de voyage qu'il [Eddy] suppose qu'eux [les gamins] aimeront, et seront bien contents d'avoir vu (au moins une fois, une seule et/ou dernière fois) des choses brillantes et folles et mignonnes et chaudes et festives et colorées du Royaume Magique. Voir Naples et mourir. Une sorte de dernier voyage pour faire pétiller leurs yeux, un "last hurrah dream vacation" de quelques jours pour ces enfants déjà hors du monde. Se lèvent les fonds face à la figure d'Eddy, continuant sur sa lancée de plus grand mendiant du Royaume-Uni (il a quémandé un paquet, nombres foules et moult picaillons, doublons fifrelins et louis d’or pour son propre fils, faisant d’eux deux des figures publiquement reconnues). Bref. Les gamins partent de Londres avec des (quatre plus Eddy pour être précis) accompagnateurs un peu flous (une fofolle de la nounouterie, un espèce de flirter invétéré (Colin Bible, oui Bible comme la Bible, nom occasion de jeux de mots, d‘ailleurs les autres noms ont une sorte de résonance…), un docteur un peu terne de prime abord et une spécialiste de l'enfantement de monstrumains).



L'aventure entre roulage sur roulettes et partition en sucette, entre la découverte qui se passe comme on l'aurait souhaité et les drôles de choses qui déboulent on n'a jamais su comment. Une tempête de neige; des rêves qui se che— il faut aussi préciser que quelques uns des gamins ont un signe physique relativement particulier (l'une a la peau bleue à cause d'un manque d'oxygénation du sang, l'autre morve en permanence, une troisième a l'air enceinte à cause d'une énorme tumeur, le jeune homme atteint de progéria a évidemment les caractéristiques physiques d'un vieil homme, etc. en gros ce sont des aberrations et ça se voit— vauchent entre eux; des enfants (entre huit et quinze ans) qui sont assimilés aux sept nains, mais à sept nains qui auraient dès le placenta assimilés Blanche Neige et la pomme viciée qu’ils deviennent en grandissant; des Mickey et Pluto terribles, l'hors-costume se projetant dans le costume en situation voulue; et cette petite phrase qui revient comme une ritournelle, qui assomme l'absurde en conservant son reliquat dans ce qui suit : "Because everything has a reasonable explanation.".
Effectivement, tout a une explication. Après l'ellipse et le manque, Elkin retourne sur un autre côté, fournissant l'explication, qui, si rationnelle qu'elle soit, reste fourbe, aussi aberrante finalement que la situation qu'elle voudrait élargir, comme s'il était littéralement impossible d'être raisonnable, logique et que la phrase s'appuyait plus ô au bien plus sur le "everything" que sur le "[reasonable] explanation", hors même de la relation de causalité. L’explication elle-même a une explication, tant au niveau narratif qu’au niveau du signifié, remonter à la source devient vite abscons, et le retour n’en est que plus beau.
Si ces gamins meurent, il y a une explication. Une rationnelle.
Eddy Bale, une idée ? On ne peut pas l’entendre, même hurlée. Ces gamins qui meurent en même temps qu’ils avancent dans la vie, qui savent pour les plus âgés d'entre eux qu’ils n’auront rien de ce qui fait la vie (le sexe, l’expérience, l’autonomie, et ainsi de suite au moins ont-ils déjà appréhendé la solitude à un niveau probablement peu concevable et ont maintenant l’amitié, l’amitié kamikaze d’aller ensemble souriant vers la mort) habituelle, raisonnable.








« She [Mary Cottle, une accompagnatrice] went to him [Charles Mudd-Gaddis, le progérié].
"Charles?" she said.
"Yes, lady?"
"Do you know who I am?"
"The Angel of Death?"
"No," she said.
"Do I get an other turn?"
She stares at him.
"Are you living?"
"Of course I'm living!"
"Are you bigger than a breadbasket?"
"Mudd-Gaddis!"
"How many is that?"
"Mudd-Gaddis!"
"Do you reside in eastern Europe west of the Odra?"
"I'm Mary Cottle!" she said.
"That was my next question." He looked at her. "Yes, Miss Cottle?"
"Nothing," she said.
Because everything has a reasonable explanation. »

Cette explication, c'est aussi (surtout peut-être) que ces gamins vont mourir, ce voyage étant un semblant de concentré de vie. Qu’on n’y peut rien, qu’on aborde le problème de front, qu’on rit hors du temps. Explication ? Arrive le point où elle n'a plus prise, déjà effritée successivement par les niveaux du dessus, elle aussi viciée quand elle retourne à la source.

Suicide de l'humour, qui reste, reste, reste la seule chose à laquelle croire même morte, qui était déjà là face au sujet et donc aux thèmes du roman, qui reste quand tout est parti. S'imbrique dans le tout, atteint le niais et attendrissant Noah Cloth, se projette dans les détails passés de Liam (il n’a commencé à se masturber que deux mois avant sa mort, a eu un seul aperçu de vraie voix le jour où il a eu un chat dans la gorge, a cru qu’on allait le statuedecirer chez Madame Tussaud), dans les gamins qui se font passer pour des magiciens avec dérapage dans le futur, dans le rythme fabulé des phrases, impressionnantes de rythme et de choix. L'humour abusif et désabusé suivant un Pluto et un Mickey qui débarquent d'on ne sait où et inversent leurs rôles jusqu’à la limite, suivant des gamins qui vont se rincer l'œil, une accompagnatrice qui se seule, un moniteur qui joue et gagne pour les gamins. Les franges oniriques où les enfants rejoignent ce qui a une reasonable explanation, ce qui est cette reasonable explanation, et inversement— rejoignent cet everything. L’un glisse chez l’autre, le réveil n’est pas forcément clair, le rêve lui-même pourrait avoir une reasonable explanation.

Magique dans ses gamins qui, au détour d'une parade, auront, dans une scène renversée, l'air normaux face à la dégueulasserie physique (limitons-nous ici au physique, on voit déjà au cours du roman que— même si ce sont des gamins (donc des innocents)— les jeunes n'ont autrement (moralement, psychiquement, intellectuellement, etc.) pas de quoi rougir face au monde, à leurs accompagnateurs et au personnel du parc, et même plutôt l'inverse) de bien des gens, des gens en général, là où (Disney World, c'est à Orlando, il fait beau, on se balade en tenue légère) on voit (après des années en Angleterre, avec ses pluies et ses vêtements) ce qu'est le corps, aussi grotesque souvent qu'une peau bleue ou qu'un vieillard de huit ans, aussi friable qu'ils le sont. Déphasés de leur univers habituel d'objets observés— se composant de deux parties majeures : être fixés / être ignorés— les sept monstres sortent du centre d'attention et s'additionnent au groupe, pour une fois conscients. Le rôle public presque de l'handicapé visible (ahah un mon-streuh je m’en vais le pointer du doigt parce qu’il est tout mo-cheuh) est retourné pour les gamins, simplement annulé dans l'ensemble. ça suffit. Ils conservent leur eux et conversent avec l’autre, qui n’a plus rien d’autre. Encore une fois, la seule différence est leur mort à venir plus rapidement (pour être précis, le fait de savoir qu'il vont bientôt en finir). La seule si l'on ne compte pas celle qui veut que maintenant ils ont compris qu'ils n'ont au fond rien d'exceptionnel. Pas d'apitoiement, juste l'entraide de ces gamins, lancés en couples et en groupes dans le parc, et qui s'amusent, vivent. Si l’un d’eux meurt, c’est un choc, c’est toujours un choc— pourtant on le savait, un fil a lâché, il n’y aura pas de rapide lumière éclairante dans l’œil du moribond; il y en a [eu] une, depuis une semaine, quand après avoir exploré le royaume magique, les gamins ont trouvé le Royaume Magique, pas celui de Disney mais celui d’Elkin, celui un peu naïf il est de le dire d’eux-mêmes, où l’hôtel le Parc l’amitié les buddies et le beau temps ont fonctionné.

« A light, fine snow was falling on the Magic Kingdom. It covered the streets and rooftops of the amusement province with a thin dry powder. [...] That the snow didn't melt at all but connected on the ground, experts attributed to the fact— or speculation, rather— that it must have fallen from a very great height, possibly the stratosphere— well, nothing, a sort of stalled, rare and massive air pocket that just happened to coincide in its dimensions with the boundaries of the park itself. »

Parc embouledeneigifié, glacé et inhabituel. La neige partira vite, mais le parc est une perle, comme le sont les mondes oniriques et fantasques des enfants et accompagnateurs, liés dans un (des) collier(s) sans bout par les fils que sont les mots, les phrases, les unités, les respirations et rythmes de Stanley Elkin. Juste sur cette petite citation, ça doit pouvoir se remarquer : Stanley Elkin écrit dans un rythme assez joyeux finalement, réussissant à combler la friabilité des mots et de ses personnages, collant encore des mots, des bouts de phrases, faisant de son texte une sorte de chose vivante, respirante, du genre à faire bouger les fesses du lecteur. Le plus magique est qu'il y parvient avec une qualité narrative et lexicale (à ce propos, au NY Times on nous précise qu'il n'y a pas le vocabulaire habituel de combat contre la maladie ("We use active images, we ''battle'' illness, we ''conquer'' adversity. Mr. Elkin strips away this false language of valor and health."); je ne l'ai pas spécialement remarqué ou ressenti, mais veux bien les croire) assez folle.

Et de s'achever sur un feu d'artifice mort-né, explosion liant la maladie à son rôle, vie et mort, fantasie fantasme et réel, etc.



10.10.07

Tas.

En vrac et sans motivation;

J’ai lu Half Life (Fausto en a parlé il y a peu — à vrai dire le jour même où je recevais le bouquin c’est chouette hein), de Shelley Jackson. L’histoire de Nora, de Blanche, deux sœurs siamoises (un corps, deux têtes) dont la deuxième a comme un problème de vivacité depuis une quinzaine d’années. Nora décide de faire couper la tête de Blanche (meurtre ? euthanasie ? suicide ? bof ?), poids mort assez gênant. Contact avec une mystérieuse organis— bref donc occasions de se poser des questions sur la relation fraternelle, de revenir sur l’enfance, de se demander si Blanche, si inactive qu’elle ait l’air d’être, ne se cacherait pas dans la tête de Nora (à ce niveau-là, savoir si Blanche est réellement vivante ou non n’a plus trop d’importance), de savoir pourquoi Blanche est sortie du monde, d‘apprendre un peu. De rigoler un bon coup aussi (du comique de niveau haut), avant de s’apercevoir que le monde uchronique qu’on parcourt (les U.S. of A. se sont flagellés avec des bombes atomiques après Hiroshima et Nagasaki, d’où les modifications radioactives siamoises) est le même que le notre, avec ses minorités, pire encore peut-être, avec ses majeurs qui tentent par divers moyens de changer (vont se faire greffer une pseudo-tête parce qu’ils estiment être séparés de ce qu’ils auraient dû être), des psychologies alternatives d’abord pour s’approcher de ce qu’est l’interne d’un siamois, puis qui s’étendront au monde des gens normaux, des défenseurs de tout, de rien, des problèmes et des solutions rigolotes. Fusion, fission.
Peut-être un peu moins convaincu sur la fin, dans un ensemble peut-être plus inégal peut-être, quand le texte se veut embrasser sa forme cyclaire, cassant son rythme comique et fou pour atteindre ses propres lignes au propre (c'est explicité plus d'une fois) comme au figuré hors du propre.

Lu aussi Snow White, la réécriture de Blanche Neige de Donald Barthelme. Avec des faux nains et des cheveux, un prince qui viendra. Collage malade d’une Blanche Neige en manque de mots, collage de trous, d’hideux mateurs et de bruits gras catachrèsiques. De trucs blancs, de neige que l’on retrouve sur un écran de télé déréglé, celle qui forme des images hallucinées de vérité quand on regarde derrière et qui est une preuve (sic…) du fond diffus cosmologique. Deux choses qui me font impression: le roman et le fait de ne rien pouvoir dire de malin à son propos, même en forçant un peu.

Vu Control, d’Anton Corbijn, biopic (comme on dit) sur Ian Curtis, leader de Joy Division. Je ne connais rien à Joy Division, à peine plus à New Order (encore à peine plus sur la musique en général), ai décidé un peu au pif d'aller voir. J'aime. Joy Division et le film. Au milieu des 70es, avec du Bowie ou des Sex Pistols qui montent. Réussi, se concentrant un peu trop sur les histoires de cœur de Curtis (le film se base sur le bouquin de sa femme, on comprend mieux l'axe sur les petites affaires avec une belge et son rôle de père mi-indigne, mais ça donne un résultat assez gênant suivant une équation entre problèmes de couples, coucheries extestines, et suicide assez peu (trop) équilibrée, alors que (merde) ses tromperies n'étaient qu'un aspect des trucs qui le rongeaient, une conséquence et non une cause comme ça a l'air d'être ici présenté, ce pauvre mec presque muet et épileptique qui danse comme un grand malade qui a fini). Beau dans son noir et blanc déjà déphasé, dans son Angleterre migrante et ses bagnoles teufteufantes encore, un mec un groupe qui fait font son leur son truc, se dépasse lui-même et se retrouve comme un con à devoir aller là où il est déjà. Puis les côtés, les marges tremblantes, avec un mec (Sam Riley) qui joue Ian Curtis tout triste et ivre de rien, tout étrangé de devenir.

Je me demande encore de quelle couleur seront les bouquins de la Pléiade du XXIème siècle. Rose bonbon, épinard, céruléen, kiwi kaki caca d'oie. Et qui sera le premier estampillé nouveau millénaire.

En ce moment je lis l’or, de Blaise Cendrars, l'histoire de Johann Augustus Su(t)ter; et The Magic Kingdom, de Stanley Elkin, l'histoire de gamins anglais en glaise qui vont à Disney World pour s'amuser un peu peut-être avant d'achever leurs phases terminales. Henry Miller aimait Cendrars. Henry Miller aimait Knut Hamsun. Hamsun a été, en 1920, prix nobel de littérature. Le 2007, c’est demain qu’on sait et qu’on s’en foutra un peu plus. Elkin est magnifique.

Je voulais le signaler chez g@rp mais ai probablement oublié, ça me revient maintenant et pendant que je suis là autant continuer à faire bouger mes index sur mon clavier. Mon exemplaire folio de Madame Bovary est contaminé par La Maison des feuilles. Page 60 (première partie chapitre II), "Une jeune femme en robe de mérinos bleu garnie de trois volants, ..."
Mon bleu (en noir) disparaît, la vérité est ailleurs (une page quelconque plus avant dans le roman).

3.10.07

a screaming comes across the ... sky ?

« Pulling the wire out from within the limbs, he twisted each limb against the joint until flesh and ligature tore and the limb came free in his hand. The flesh was dry, brittle to the touch. He hacked the body to smaller pieces, grouped them in piles on the mattress. He removed his igniter, set the mattress aflame. »
Brian Evenson, Dark Property.

Ce n'est qu'un exemple : ce truc est sombre comme pas permis. La couleur est rapidement donnée; ce n'est pas l'habituel XXXX : a novel que l'on trouve avant le texte, mais un religieux et dérangeant Dark Property : an Affliction. Le premier mot qui me soit venu à l'esprit pour qualifier ce que j'étais en train de lire a je crois été rauque. On peut ajouter brutal, fauve, envoûtant, effrayant, beau, sec, épuisant. S'ils ne semblaient pas aussi stupides, j'ajouterais des termes comme rare ou terrible. Court, d'une intensité impressionnante. Comme si le contexte était hors même de l'histoire et ne s'y fixait que par touches abruptes, quand les cadavres ambulants de son monde aride apportent plus qu'eux-mêmes.