28.10.07

en nuit

Mardi je crois en rentrant je ne sais trop pourquoi j’ai allumé le portable et ai tapé environ une page en caractère dix en times new roman à partir d’une petite phrase pas même articulée qui me trottait juste avant dans le crâniot troublé une phrase à propos d’un mec dans quelque chose que je venais de relire reparcourir serait plus juste un mec que je n’apprécie pas spécialement tant en temps que personnage qu’en temps que fonction dans le cours du récit mais j’ai tapé tout petit un truc qui vite à réinscrire dans une optique plus large qui pouvait s’apparenter à du courant de conscience à sa forme sans ponctuation sinon pas drôle ça n’est ou beaucoup moins peut-être que l’un et l’autre sont indissociables quoi qu’il en soit ça s’est fait comme ça je n’ai rien décidé j’en ai tartiné une autre page même police même taille peut-être pour ne pas avoir à voir de loin ce qui était déjà là par moments écrit derrière le premier deux ou trois moments pas plus à lancer encore et encore des théories et idées auxquelles j’adhérais ou non sur ce mec éventuellement sur le contexte des idées pas évoquées par l’auteur ou si peu c’était ça l’intéressant de la chose mais vite en continuant à taper sans réfléchir je me suis demandé quelque chose avant de m’apercevoir que je n’étais selon toute vraisemblance pas encore capable d’écrire de la fiction même pas de la fiction de qualité on verra ça plus tard juste de la fiction sans me reposer comme un fou sur des choses déjà existantes et à extrapoler ensuite à partir d’une toile qui sert de filet mais finalement à demi pour me je ne sais pas me rassurer peut-être je me suis dit que tout le monde faisait ça qu’il était impossible d’écrire un procès ou une famille Karamazov voilà c'est ça sans s’appuyer sur le réel qu’un festin nu par exemple n’était bref que la traduction de vues en quelque sorte réelles concrètes en diable no good no bueno merde et non un acte d’invention total à peine partiel que même les conneries comme l’écriture automatique ne faisaient que repousser le problème et peut-être que continuer à écrire sans ponctuation ce fait même pouvait me permettre de cacher les imperfections la vraie fausse acohérence ou leur donner un aspect voulu je ne sais pas un aspect estompé sinon annulé par l’accumulation un effet de style une accélération du souffle qui crée un décalage encore de nouveauté finalement même si ça n’a plus rien de bien original qu’il donc était question de camoufler et de retarder l’échec fail again fail better peut-être mais fail tout court pas encore assez comment dire comment c’est peut-être que s’appuyer sur l’existant si ténu soit-il était la norme mais comme si broder voilà broder les bords broder encore en soubresauts en compagnie était la norme presque impossible à dépasser il suffit de décliner d’éviter le déclin d’éviter les dramaticules de la catastrophe de réussir à traduire le réel et lui donner une patine une texture trompeuse secrète ou non d’invention bref voulais arracher mes roulettes et sais pourtant que cette image de vélo qui vient est venue déjà est minable sais que je ne peux pas le faire à moins d’y aller tout doucement à coups de tournevis d’ongles s’il le faut ou tout envoyer en l’air d’un coup de reins à les écraser une fois au sol peut-être au bout d’un moment avec ou sans virgules mais sans cacher en piquant au réel son réel à trous à casser les axes enflammer l’artifice et en suivant notre ami Lavoisier qui avait bien raison avant d’apprendre que ce voleur avait repris sa maxime d’Anaxagore et même là rien ne se crée ne se perd tout se transforme se traduit s’écrit s’exprime se morphose se met à nu se mue c’est peut-être ça le plus gênant—

5 commentaires:

g@rp a dit…

Libellé : rien.
Les petits riens font, feront les grands tout.

Lazare Bruyant a dit…

Brillantissime, ma foi. Bougrement bien torché. Juste par curiosité, j'imagine que tu l'as écrit d'un seul jet mais comment? Par jeu (une sorte de contrainte à l'oulipienne: pas ponctuation, tu as dix minutes) ou bien il a fallu que ça sorte de toi, un impératif & puis c'est tout? On dirait un truc qui te trottait dans la tête depuis un petit moment...

Anonyme a dit…

On ne peut s'empêcher, en te lisant, de penser au dernier chapitre d'Ulysse. La ponctuation a pour fonction de rendre cohérente la pensée, ce qui trahit la réalité essentiellement incohérente de la pensée. Reste à savoir si l'écriture peut vraiment se passer de la ponctuation. N'est-elle pas foncièrement étrangère à la pensée vécue ? Joyce n'a-t-il pas voulu montrer l'échec du réalisme, c'est-à-dire l'échec à vouloir retranscrire ce qui se passe tel que cela se passe ? Je ne sais pas.

Lazare Bruyant a dit…

Sur un cours texte comme celui ci ça reste encore bien digeste, ça sort comme ça apparaît dans la tête, le fameux stream of machin-chose.
Par contre, & pour avoir lu "Ulysse" en entier, ça devient fatiguant (au sens propre comme au figuré) sur plusieurs pages. Ca me donne parfois l'impression que l'auteur se fait plaisir (parce que c'est évident & on l'a tous fait, c'est plutôt jouissif d'écrire sans contraintes syntaxiques, juste ce qui sort du crâne) en laissant le lecteur un peu à l'ouest. Le monologue final d'"Ulysse" demeure quand même un moment plutôt sportif, du point de vue du lecteur en tout cas... quoique Joyce a du y laisser quelques litres de sueur aussi.

otarie a dit…

Lazare > Pas de contrainte, ça en serait d’ailleurs une assez facile, ni vraiment une sortie impérative. Lancé sur le sujet avec le courant de conscience pour coller à l’autre texte évoqué (qui existe vraiment et là je serais bien en peine de dire pourquoi il n’a aucune virgule). Ça a pu trotter, mais point sous cette forme. Et en gros d’un jet, avec retour pour mettre quelques titres beckettiens au milieu après m’être aperçu qu’un ou deux s’étaient placés tout seuls.

Bartelby > Il semble quand même que l’intérêt premier du stream of consciousness est l’approche au plus près du flux de pensée de quelqu’un, une sorte de niveau du dessus qui renvoie tout monologue, si beau soit-il, au rang d’exposition d’idées supposant un récepteur, en sachant pertinemment qu’il reste lui-même loin de ce qu’est vraiment la pensée. En cela, c’est effectivement un constat de l’échec du réalisme, ainsi qu’un aveu de ne pouvoir faire autrement. Peut-être que là où il s’en approche le plus, c’est dans sa ponctuation (qui est toujours), faite d’images ou de mots plutôt que par quelques signes visuels, articulée autrement même dans la déconstruction. D’une manière générale, je ne crois pas que la plus-value gagnée par le courant de conscience soit réellement importante. Ça n’est pas juste une curiosité, mais c’est tellement déprimant sur une longue durée que ça ne donne pas envie de pousser encore plus loin, avec des techniques qui on ne sait trop comment seraient encore plus proches (peut-être que, l’un dans l’autre, certains passages de la machine molle, le ticket qui explosa et nova express, de Burroughs, s’y approchent, et c’est terrifiant ; on a de la ponctuation « visuelle » (avec des — notamment), mais parfois plus aucune cohérence, là où le stream of consciousness en garde malgré ses revirements incessants. D’une manière plus pragmatique : c’est très laborieux à lire et souvent impossible à suivre.) de l’explosion.