2.11.07

Autant en emporte le vent

[mode=blogger cliché](D’une manière générale, je suis encore moins satisfait de ce que j’ai écrit ici que je le suis d’habitude sur ce que je poste. Ce paragraphe était supposé se trouver à la fin du… euh… post, mais après réflexion peu mûre, je le place en tête, comme après réflexion peu mûre déjà j’ai décidé que ça a malgré tout franchi la limite du postable. Je me demande encore.)


Un peu par hasard. C’est comme ça que je suis tombé dessus. Lu quelque chose. Ou plutôt aperçu un avis positif. Vu des pubs à Gibert pour la version poche et me suis dit que oui effectivement ça pourrait être une bonne lecture etc. ça me changerait d’ailleurs un peu du reste. En ai trouvé un d’occasion en parfait état. Hop, entamé. Pensé avant que j’allais me retrouver avec un truc sympathique au style un peu plat même si bon, simple et efficace ça oui rentrons directement dedans, genre disons Asimov ou pour être moins simple mais vraiment pas beaucoup plus je ne sais pas… van Vogt ? ou plus récemment Simmons ? un peu plus enfin bref (ma connaissance de la S-F en général n’est pas très étendue, j’ai juste pu voir que ça n’avait pas l’air d’être la question principale), et me suis fait baiser.[/] Autant le dire de suite avec quelques faibles mots pour peut-être broder de broc plus loin : Alain Damasio, au moins avec cette Horde du Contrevent, offre une expérience de lecture qui passe par le son, le rythme et la syntaxe, les phonèmes graphèmes parfois et diacritiques même, ponctuation, mot, souffle du mot et le chant du vent qui hurle en un défilé et se calme sur les points de i. Disons que c’est la première chose qui frappe, à plus forte raison quand on ne s’y attend pas spécialement, à plus forte raison avec l’invocation débutant l’affaire, la citation de Deleuze et Guattari qui ouvre, l’idée de mouvement qui découle. Le parallèle avec le vent est transparent ; les deux doivent se laisser écouter et suivre, se laisser décrypter.
L’histoire en elle-même n’a rien de bien original, se résume simplement : sur une Terre une Horde d’une vingtaine de personnes, partie de l’Extrême-Aval et qui, en contrant le Vent, cherche à aller à l’Extrême-Amont, la source du Vent. Pourquoi restera toujours une bonne question, qui se couple à tout le roman : l’éteindre, le connaître, s’en servir, et pourquoi ? C’est la 34ème Horde déjà. Peut-être la dernière, on le dit plus pour la forme qu’autre chose. Polyphonique, phonique, tout cela débute dans le mouvement le plus total, on contre, on contre, on monte face au vent et on apprend assez vite que la vingtaine de la Horde montent, eux, depuis déjà 27 ans, l’occasion de songer à la distance qu’ils ont pu parcourir, à la motivation qui les habite. Ce qui frappe le plus, c’est l’absurdité de prime abord qu’observe l’univers en question. On trouve des ports, des abris (le vent souffle-t-il sur une bande précise ? existe-t-il des villages juste sur le bord de cette bande, quand le bord existe ? Pourquoi existe-t-il un Extrême-Aval (sous entendu n’y a-t-il rien derrière, véritablement rien) ? On aura des réponses), des cités en amont de la Horde, on vient à savoir qu’il existe des machines qui permettent de passer au-dessus et donc outre le vent, jusqu’à un certain niveau, on revient sur la drôle d’idée qui consiste à partir du point le plus bas, même si la Horde peut intégrer des éléments en chemin. On y songe on y réfléchit rapidement avant de se voir réellement confirmer ce qui devenait la seule explication possible plausible raisonnable ? L’arrivée à l’Extrême-Amont doit s’accompagner de l’expérience accumulée, y arriver par mécaniques moyens sans mouvements est en quelque sorte inconcevable, une façon de déshonneur, la volonté se couple à la quête, on suppute la simplicité de la quête comme étant son propre objet, de l’acquisition d’un autre niveau, de l’arrivée à un surhomme (oh Hi Nietzsche), c’est comme ça qu’on accélère et qu’on évolue, on descend du singe et on s’arrache de l’homme. Ascèse. Reste à savoir si l’on peut vraiment s’arracher. Oh, on peut bien se servir de vaisseaux ou même de cerfs-volants. Simplement, que ça ne serve pas à avancer, le corps seul doit contrer. La connaissance du Vent, de ses neuf formes dont seules six sont physiquement connues à l’instant, s’acquiert avec le temps, se conquiert. La Horde a la légitimité, la validité d’arriver en haut, si elle le peut. Le plus étrange peut-être dans tout cela est que cette logique de l’évolution vers le surhomme passe par le groupe. L’idée est émouvante, utilisée parfois magnifiquement, couplée au concept de vif qui, avec maîtrise du vent certaine, est assimilable, les amis morts s’accrochant d’une certaine manière physiquement, aux survivants.

On nous dit que c’est la dernière. On se dit que quiconque veut aller en haut devra y aller avec ses pieds, profitant des informations des précédents. Mais ça ne se passe pas comme ça; en bas d’aucuns (supposés de gros enculés) ont changé d’avis et estiment qu’il faut aller en haut par tous les moyens. Problème, les moyens actuels ne permettent pas de passer le défilé de Norska, sorte d’épreuve ultime, supposé ouverture vers l’Extrême-Amont. Là où ce sont de gros enculés, c’est qu’ils cherchent parfois à tuer la Horde, et autant dire que ce ne sont pas des rigolos. Bien évidemment, ils pourraient tenter de passer Norska sans tuer la Horde (peut-être le font-ils effectivement mais on ne nous en parle point) (disons qu’il est aussi pertinent d’en parler qu’il est pertinent de les avoir intégré de cette manière au bouquin, voire un peu moins) (disons qu’en fait cette Poursuite, c’est comme ça que se nomme le groupe qui chasse parfois l’Horde, est présentée comme ayant après tout un intérêt second, voire pire, du moins indirect, que dans cette optique on peut limiter leurs actions vues à de l’assassinat, offrant ainsi une (ou deux) scènes de combat réussies en dépit de leur longueur et du côté casse-gueule que ça peut impliquer), mais ce sont de gros enculés, on a bien compris où l’auteur voulait en venir et on ne lui en veut pas vraiment. Avec le temps, même la Norska ne saura leur résister. Avec le temps, il ne pourront résister à la Horde.

Retour : la Horde se compose d’une grosse vingtaine de gugusses. Chaque fois que l’un prend la parole, un ou deux voire trois graphèmes surgi(ssen)t pour nous indiquer lequel. Les récurrents (Golgoth, Aoi, Sov, Pietro, Caracole, Oroshi) se retiennent vite, pour les autres un doigté de retour en début de bouquin sera nécessaire, avant d’intégrer Coriolis, Callirhoé ou Larca, puis d’autres que l’on n’entend jamais. On se démerde pour savoir qui parle de toute façon, d’aucuns sont plus aisément reconnaissables que les autres : Golgoth bourru qui probablement aurait bien enculé une à une les filles du groupe, sauf la grosse faut pas pousser quand même, ou Caracole le troubadour vif, ses contes fous et sa volonté de chasser le prévisible. Des fois on trouve, des fois on s’en fout. Golgoth hurle, rauque. Caracole, si l’occasion se présente, accepte volontiers un duel de palindromes. Les autres sont plus posés. Les autres autres ne parlent pas. Et ceux qui meurent, avant d’avoir eu le temps d’être vus. Et ceux qui, une fois morts, arrivent à vivre par les autres, dans une nouvelle escalade, toujours au final dans cette fin logique et ignoble la question : que faire quand le but d’une vie est atteint et qu’il est une impasse ? Se suicider ? Continuer encore ? Poser son cul et attendre avec un sourire satisfait? La réponse qui s’apporte ici est la seconde. Le but en soi n’a pas d’intérêt, même la hargne pourtant illimitée qui paraît habiter Golgoth s’estompe. Il n’a jamais caché ses défauts ni ses peurs, mais le voir s’effondrer est un moment d’une densité émotionnelle assez forte. Dans une logique d’imaginaire normale, c’est probablement le personnage qui a eu la « vraie » fin de l’histoire, la fin de partie à laquelle il aspirait, après l’érosion de sa Horde. Sov (dont on sait depuis quelques paquets de pages qu’il sera le dernier survivant) étant le seul à qui l’on donne le droit de la réalité, si terrible.

Mes connaissances en la matière sont assez peu étendues pour que j’en parle convenablement, mais il est assez intéressant d’observer la logique du groupe et du mouvement total qui l’habite. Si quelques membres partent, décident pour une raison ou une autre de s’arrêter, toujours l’intérêt du groupe saura passer avant les intérêts personnels : il faut avancer, en dépit des doutes sur la légitimité de la Horde. Il faut avancer. Ceux qui meurent devraient être laissés sur le chemin, en espérant que ce qu’ils ont été rejaillisse dans les vivants. Devraient, car certains ne peuvent se résoudre à courir à un suicide quasi-certain et à laisser les blessés seuls sans chance de résister. Pourtant il faut avancer, encore. Monter, monter, aller contre le vent vers ce qui a modelé l’existence, affronter la pire des choses possibles. Pour les personnes qui comme moi sont habitués et apprécient quelque peu le nekketsu des shonens comme Dragon Ball, HxH ou One Piece, les valeurs ambiguës d’amitié et de sacrifice exacerbé qui vont avec, ça passera mieux. Comme souvent, ce sacrifice total se voit un peu édulcoré par un quelconque concept. Ça n’est pas un problème, l’intensité qui se dégage de certains passages concernés annule l’affaiblissement thématique (mon dieu).

Quoi qu’il en soit, malgré quelques défauts plus ou moins évidents (une linéarité assez monstrueuse, un idéal qui ne saura satisfaire tout le monde, parfois un peu longuet voire lourd, quelques passages un peu forcés), c’est un roman qui laisse une petite trace, ça réussit globalement à tenir ses ambitions, et ça m’est une bonne nouvelle de savoir que l’on peut faire de la sci-fi de cette manière (d’ailleurs si quelqu’un a des conseils je suis preneur). Existe avec la version non-poche une bande-son, je suis curieux de voir ce que ça donne (même aimant lire en silence).

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