19.11.07

eh bien en fait

Q. — Comment ?
— Ne sais pas vraiment.
Q. — C’était quoi ?
Le Dictionnaire philosophique et Candide.
Q.— Première fois ?
— Déjà Candide, pour le bac de français.
Q.—
— Non, Le pont Mirabeau.
Q. —
— Je ne sais pas; comme tout à ce moment-là, je crois bien ne l’avoir lu que parce qu’il le fallait. Apprécié, oui, au moins un minimum. Compris, probablement. Mais. Comme si on, je dis on, je n’étais pas le seul, était incapable de substituer ce qu’on en ressortait à ce qu’en disait le professeur, à l’écouter et à ne rien suivre, à noter sans intérêt, persuadé que, à débiter ça quand il le fallait, c’était plus un exercice de mémoire qu’autre chose. Retenir assonance sans voir ce que ça donnait, etc.
Q. —
— Oui, je sais.
Q. —
— Oui.
Q. —
— Pangloss, Candide, Cacambo, Eldorado,Vanderdendur, il faut cultiver notre jardin, même cosmolonigologie; oui, quand même. Des réminiscences de passages par le monde, n’importe où sur le globe. Sauf en France, je ne m’en suis souvenu qu’après quelques pages.
Q.—
— Non.
Q. —
— Juste s’apercevoir que ce n’était peut-être pas aussi simple que ça. Ou aussi simple, mais d’une autre façon; que Candide est probablement aussi idiot tout au long, que peut-être il n’a jamais été aussi idiot ou candide qu’on nous le disait, qu’on avait pas vu de toutes les manières possibles la phrase finale; qu’on avait raté tout le comique instillé à chaque page pour se concentrer sur la progression; que d’une même manière on avait évacué le tragique, mal évalué la portée; au final qu’on avait lu sans lire, bougé les yeux.
Q.—
— Surtout cette phrase : l’oubli qu’il y avait une cyclicité au long des pages, le fait de ne pas s’être aperçu qu’un mot comme « notre » avait bien plus d’importance que le mot « jardin », même avec ses relents bibliques. Voir des nouvelles choses, et principalement y penser, voir l’avancement vers tout ça, les rapports, la toile et le mouvement plutôt que le point final.
Q. —
— Le fait qu’il semble très aisé de mal le lire.

Q.—
— Fourre-tout ?
Q.—
— Effectivement.
Q. —
— ?
Q. —
— Eh bien, le rapport au bien et au mal et—
Q. —
— Le fait de voir que Pangloss sous certains aspects n’a pas tort sous sa posture, qu’il n’y a pas forcément de rejet total de l’optimisme. Tout ça n’a pas la teneur—comm—voilà, disons qu’à première vue Pangloss est l’optimisme obtus, ici à rejeter, tout ce qu’il dit étant sujet à ricanages, immédiatement discrédité à chaque ouverture de bouche; au final, dans son babil radieux, on trouve quelques vérités, et ceci qu’on avait l’air d’oublier : lui, ainsi que Candide, dès le début, cultivaient déjà leur jardin. Il semble que la candeur soit justement d’envoyer d’un revers de bras ses théories, si douteuses semblent-elles, plus que les théories elles-mêmes, c’est là qu’on a dû se faire avoir. L’un dans l’autre, il avait raison, ses descendants ont raison, comme ils ont tort. Si ça peut leur faire plaisir, ils ont raison de continuer sur cette voie. D’une certaine manière leur vue du monde est proche de la religion aveugle (aussi une sorte de « déisme positif » comme dit l’auteur de la préface) , alors que Voltaire l’oppose au péché originel.
Q. —
— Sceptique. Ils perdront. Ils perdent.
Q. —
— Oui.
Q. —
— Je ne suis pas convaincu que Candide ait découvert quoi que ce soit : il est dit que le travail chasse l’ennui, le vice et le besoin. Oui, le problème vient de la nature du travail : il suffit d’une construction ent—c’est une histoire de groupe et d’individus plus qu’autre chose, non ? J’ai l’impression qu’il y a méprise sur cette nature du travail, le jardin a l’air de supposer une activité manuelle ou je ne sais quoi, non plutôt même c’est parler de travail qui est malvenu, il s’agit de culture, ce mot qui fait se rejoindre l’action et la pensée, à partir de là je crois qu’il suffit de préciser l’action, la création pour que tout aille bien. Enfin, « bien aller », on se comprend… Non ?
Q. —
— Okay, c’est toi qui poses les questions.
Q. —
— Je ne les ai plus.
Q. —
— Bof. Pas envie.
Q. —
— Oui.

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