31.1.08

imaginary crumbs

J’avance à pas très feutrés dans Laura Warholic, imaginez qu’en une semaine certes mangée d’autres lectures, j’ai lu dans la large centaine de page sur le double du double du double et la cinquantaine de plus qu’il y a au total. Le mec principal est intelligent, c’est tant mieux et ça m’inspire pour écrire des trucs idiots avec des gens qui se nomment Astronaute (rapport à Steve Katz en fait) ou Marcelin Python (mon dieu), il s’intitule Eugene Eyestones, il écrit sa rubrique dans Quink et c’est en quelque sorte Carrie Bradshaw au masculin, en plus froid et moins frais. Ça se passe à Boston et ce mec qui peut développer des idées sur la cohérence des fonctions humaines (les spermatozoïdes serviraient à sculpter de l’intérieur la femme à l’image de l’homme) s’appelle Eugene Eyestones, je l’ai déjà dit, c’est lui l’intellectuel sexuel, son rédac’ chef c’est monsieur Warholic, il a des collègues un peu étranges accentués à son regard pragmatique, un dandy antisémite et d’autres ils vont au café et des fois y’a des blagues, je ne retrouve pas la page, genre « Tu connais l’histoire du juif qui bande et va vers un mur ? / Non. / Il s’est cassé le nez. », comme un double what the heck ? qui perdure, je crois que si j’avais le temps je le lirai par traites de trois cents pages, autour d’une table ils s’exclament sur la nature radine du Christ, puis Eyestones rentre chez lui, en amateur de musique doué de mémoire exemplaire. Je sais pas, il y a une telle densité d’informations de genres divers, il faut que j’achète des crayons de papier, c’est lancé comme ça avec la plus folle normalité, un mélange d’Encyclopédie et de Grevisse comiqués, drôle et fluide si un mot bloque autant espérer qu’il s’éclaire dans l’immédiat, c’est un peu comme—non citons directement un exemple dévié à la page 106 où dans une légère liste de romans pour meufs pas suaves on trouve Gravity’s Rainbow ou Mattress Lunch (Naked lunch ?) à côté de Raoul’s passion ou Glass Dildo (par le plus grand des hasards amusés j’ai sur mon disque dur un truc qui s’appelle comme ça). Laura Warholic (née Shqump) c’est donc la femme, l’ex-femme du patron et Eyestones est avec elle, en quelque sorte. Mais ! il aime Rapunzel, la boulangère, nom de princesse qui s’étend à la personne, je ne sais pas vraiment, au départ j’étais persuadé que Warholic venait de war et de holic (alcoholic, workaholic) mais on dirait que la possibilité que ce soit un adjectif issu d’Andy est arrivée, loin d’être corroborée étant donné que je ne connais rien au sieur Warhol, bref Laura Warholic est une sorte d’échec sur pattes et Rapunzel est une déesse, au moins de loin. Grotesques tous ils sont, je crois que déjà j’aime beaucoup ce truc, cette chose et son humour de malade, ses techniques rodées utilisées réutilisées, personnages coincés dans leurs travers et les relents de dictionnaires sortant comme des rots à la face du monde, guignol contre guignol.

29.1.08

haha-ahah

Un tour un peu (très) par hasard sur amazon.de ;


Gegen den tag ( ! )
Sortie : mai 2008 (ils sont rapides ces bougres (on m'indique qu'ils sont deux (Nikolaus Stingl et Dirk van Gunsteren) pour traduire)).
Nombre de pages : 1760 (rappel : l'original en fait 1085). DAMN!!, c'est VIOLENT.
Prix : 29,90 €. Bon en même temps pour 1760 pages ( ! ) on va pas chipoter.

Bon, je ne comprends strictement rien à l'allemand et ça m'étonne de voir qu'apparemment livres se dit bücher, mais voilà. (nota, même si c'est la même couverture que l'originale, elle est moche)

28.1.08

COS HE'S MY HERO

"Bien sûr, ils avaient quelques bons arguments, en particulier les résultats d'une étude secrète du Département de la Défense, intitulée PROJET BARSOOM, et qui avait été faite en 1989 par le département de psychologie de Harvard."

Arthur C. Clarke, 2001 : L'odyssée de l'espace (vous savez, le truc qui va avec le film) (le nom est cité une seconde fois à la page suivante)



"—Tu dois régler ton allure et te concentrer sur toi-même. Tu dois avoir un plan. Ah, au fait, je suis Gary Barkovitch, de Washington, D.C.
— Moi je suis John Carter, de Barsoom, Mars, répliqua Olson."

Stephen King, Marche ou crève (un des premiers bouquins que j'aie lu par moi-même) (c'est étrange, dans mon souvenir j'étais persuadé qu'il se présentait en tant que Tars Tarkas)


"C'est alors qu'ils sautèrent sur lui. Il roula dans le sable et se redressa d'un bond à la John Carter, lança les poings en avant."

Kim Stanley Robinson, Mars la Rouge (un livre en grande partie lu une nuit à la faible lumière pleine d'insectes d'une gare ; qui a réussi l'exploit de m'emballer pendant 600 pages et de m'emmerder pendant les 60 dernières. Donc, pas lu les suivants : Mars la verte, Mars la bleue. A noter qu'un cratère s'y nomme Burroughs (un autre est Bradbury), et qu'en le feuilletant je tombe sur une demoiselle qui voudrait bien se faire intituler La Princesse de Mars, titre du premier roman du cycle barsoomien)


"We do not, of course, see The Amulet again until "The Trial of Dick and Jane"* and it is this lacuna to which this monograph must now direct its efforts.

* - See Dickin' Jane: The Hidden Life of Edgar Rice Burroughs, op. cit."

David Mamet, Wilson, a consideration of the sources (j'ai posté une notule dessus en décembre je crois)


Dans 2001 et Mars la Rouge (du moins les poches que j'ai), il y a une note explicative. Et j'ai juste envie d'acheter 53 éditions différentes de chacun des volumes de l'ensemble, même oui les plus mauvais (le géant de Mars, je te cause, tu es mauvais, très mauvais, mélange improbable des pires défauts d'E.R.B., je m'en fous et ça me rassure un peu de savoir que tu as été écrit par le fils de l'autre, du vrai), mais voilà ça m'a fait bizarre de m'apercevoir que la femme d'Hercule était Déjanire et que la femme de John Carter était Dejah Thoris, c'est encore flou de voir les creux en passant sur les Chessmen of Mars avec leur idée titrale rigolote et terrible, en passant sur Thuvia, des gens invisibles et peut-être inexistants résultantes seules de leur passé par un intermédiaire, juste l'odeur des recueils intégraux chez Lefrancq attise de loin l'intérêt, fous les trois premiers romans sont fous, les temps morts sont fantômes, la toile se fait, voir que ça peut repartir sur la famille de Carter, sur d'autres mecs même, avec des idées comiques de débrouillardises (en allant sur Phobos (ou Déimos) on garde proportionnellement la même taille), sur des femmes même. Fous la cohérence du tout, l'intensité folle des trois premiers, le miroir un peu terne que peuvent être certains autres, l'aventure avec un a gigantesque du froid au chaud c'est tout un monde.

18.1.08

« To wake up every morning with the taste of ashes in your mouth. »

Il y a Goldfarb. Et d’un autre côté, Paul, qui écoute, copie et tape au propre les propos de Jozef De Heer. Goldfarb, dans les années ’40. Etudiant. Cambridge. Jozef et Paul, une cinquantaine d’années plus tard à Potsdam, revenant sur le passé de De Heer, jeune juif en l’Allemagne nazie. Goldfarb, par diverses manipulations et capacités, finit à Los Alamos, dans les locaux secrets sécurisés qui ont vu (car les murs n’ont pas que des oreilles) le développement et les constructions de la bombe atomique. Goldfarb, Nobel, enseigne maintenant à Potsdam, dans la même université que Paul, étudiant.

Question : qui s’y connaît le mieux en culpabilité ? Le juif qui a survécu sans mérites à l’Holocauste ? ou l’autre juif qui pourrait avoir sur la conscience les morts de milliers de japonais (et par extension un poids latent terrible) ?
La base est là. Voir comment s’imbriquent les histoires de l’un et de l’autre, en regard du temps et de l’espace. Des situations qui riment. Comment l’un se fera embarquer dans le projet Manhattan, comment l’autre se fera emprisonner ; l’un au milieu du feu à venir, l’autre au milieu du feu constant ; parfois la joie des jeux ; comment les deux découvrent l’amour, et les deux de continuer. L’un du côté opprimé, l’autre du côté des grands. Dans une façon plus ou moins avouée de les rapprocher encore un peu plus, le « grand » reste assez effacé, l’opprimé est plus haut en couleurs (j’y reviendrai).
Question, deuxième : et si, malgré tout, leur culpabilité était mal placée ? Et si notre perception était mal placée ?

Reprenons. Paul Andermans. A l’hôpital. Où il rencontre De Heer. Qui raconte son histoire, est hérissé par des questions impertinentes, aura besoin de conter. De Heer a été jeune, a quitté ses parents dans des circonstances terribles d’habitude, s’est trouvé un ami, des amis, est devenu apprenti magicien en assistant le russe WLADIMIR, apprenant à empalmer des pièces, des balles d’argent, à truquer le jeu à son petit niveau, à continuer encore un peu caché dans son sous-sol. Devient amoureux, se fait niquer. Et les camps. Admet le hasard ; si lui est passé, il n’avait rien de plus méritant, insiste même assez (notamment dans un monologue pages 431 à 434) sur la normalité de son aspect, vil ennuyeux énervant égoïste s’il l’est, restant ainsi dans le pseudo paradoxe qu’il fustige, coincé dans sa double façon de vouloir se considérer lui et les quelques autres comme malgré tout normaux, rien de plus ou de moins que le reste, et l’aspect historique fort de son passé, qui peut se résumer en ses (ces également) quelques mots : Personne ne peut comprendre un homme comme moi (et sa variante ignoble : Personne n’a le droit de me comprendre). Pseudo paradoxe car paradoxe il n’y a pas vraiment, la haine en retour s’axant sur la vue de la vie des rescapés, forcément blancs comme neige. Lui aussi a fauté, péché. Pendant que son histoire s’exclame sur les pages, Goldfarb se fait absent, la bombe test a explosé, tout a changé, avec une résonance plus personnelle et égale. Egale ? Quel égoïste…
Puis la magie, encore. Et le mur de Berlin.

La passivité, devenant instable seulement en se prenant quelques neutrons dans la gueule. Où sont ces neutrons ? Neutres, pas vraiment, mais où sont-ils ? Peut-être accélérer, comme les particules en sous-sol dans des cerceaux géants. Hitler s’est achevé, cela n’empêchera pas les bombes atomiques de continuer à se construire, menées par ce qu’on pourrait estimer comme la science désormais seule. Tiens donc, le Japon. Bref. La seule, découpée de son obligation première, science. Sans conscience n’est que ruine de l’âme. La bombe se construit par expérimentations. Si on demande pourquoi, la seule réponse, incroyablement correcte, sera : Parce que l’on peut. Pour elle-même, pour voir, pour observer comme parfois on aimerait renaître dans quelques temps, devenir dictateur intergalactique et monter une guerre, juste pour voir si ça fait vraiment comme dans Star Wars (Return of the Jewdi). On n’est pas dupes, on sait bien que dans l’espace, les bruits n’existent pas vraiment. Mais pour voir, parce qu’on pourrait, qu’au bout d’un moment on peut. Et cela suffit.
Le peuple même est fissible par sa passivité, uniquement capable de réaction quand il est déjà trop tard et qu’on sait bien qu’on ira à l’échec, la tête haute d’avoir essayé, la fin arrivant par vagues successives. C’était l’Allemagne. C’est avant tout un exemple, non une exception.

Cela rejoint aussi la thématique très présente de la graine, par le sperme, fluide indélébile bien plus efficace pour sceller un pacte que le sang, coulant déjà sous les ponts. Dès le début du roman, on est fixé, il y aura du cul. Pas vraiment pour exciter (encore que), mais pour engrainer, engrosser, faire grandir, rapidement, et probablement mourir en route, fausse-couche comme les mini-digressions en simili-texte qui ne prennent que quelques mots avant de s’éteindre. Comme la floraison des scènes dans quelques chapitres, se multipliant quand l’action se rapide, peut-être aussi pour finir plus tard, impossible de faire autrement. Les expressions les plus imagées viennent remplacer le sperme, immanquablement incapable de faire ce à quoi il est destiné. Et si, même incapables, on pouvait surmonter le problème, se débrouiller pour le minimiser, faire en sorte d'être continus ?

Combien y en a-t-il ? A partir de quatre, cinq peut-être, il faut compter et non simplement voir (ou « subitiser », savoir immédiatement combien d'objets sont en face de nous ; ça n'a pas l'air d'exister en français). Combien ?

C’est finalement toute l’histoire, hésitante à s’enfiler son propre H majuscule. Mensonge constant sans honte pour s’approprier, spectacle épique ou ignoble, jamais réelle. Question, troisième : et si l’Holocauste n’avait rien d’inimaginable ? On sait tous très bien qu’il ne l’est pas. Pourtant. L’inimaginable fixe dans l’absent, comme un cauchemar qui ne se reproduirait qu’au hasard, si possible pas du tout. Le hasard a sa place, mais pas à ce niveau. De la même manière un rappel du côté « normal » d’Hitler. Il a été ce qu’il a été, mais est humain, trop proche de ce que nous sommes pour qu’on puisse admettre qu’il le soit vraiment. Omega Minor est ambitieux, offrant ses changements face au manichéisme historique, je ne lui rends pas forcément justice et aurais réellement dû prendre des notes.
De Heer, dans toute son histoire, viendra à se détacher (il l’affirme lui-même) d’auteurs tels Primo Lévi ou Elie Wiesel (dont une citation est en épigraphe du roman). Voire d’Anne Frank. Voire, pour changer de domaine, de Steven Spielberg. Il n’est pas un héros, n’a pas a priori de devoir, surtout pas celui d’émouvoir. Il a vécu. S’il a survécu, il le doit uniquement à la chance, son histoire doit simplement sortir, elle n’est pas là pour faire pleurer des mamies en chapeau et tailleur qui pleureront durant le film, iront se sécher les larmes au café et rendez-vous dimanche prochain à trois heures (ceci est une paraphrase du texte). Pour pleurer, il faut que le juif soit immaculé, comme si sa position de victime ultime ne suffisait pas à s’apitoyer sur son sort. Il ne l’a pas été. Fiction. Mensonge par omission, le plus vicieux. Qu’il n’y ait pas volonté ne change rien, charger le survivant d’une mission et d’un rôle n’est pas judicieux, juste. On pardonnera Anne Frank, peut-être moins le rôle dans lequel elle a été intégrée. Et pourtant, De Heer occupe très bien cette place de héros, ce rôle-type qu’il rumine, au milieu de ses aventures dans les bas-fonds, ses prises de jambes à son coup, ses amours brisées, sa magie et les éléphants qui disparaissent. S'il dérive en le soulignant ses défauts, son histoire à tout pour plaire, pour fonder une empathie qui n'ira qu'à la destruction d'Auschwitz. Et au-delà de son métier inhabituel, son histoire n’a rien d’original au milieu des foules d’autres que l’on a déjà entendues. Et c’est probablement ça le plus terrible ; avoir enfermé tout ce qu’on pu être les souffrances des Juifs en un modèle qu’il est impossible de contourner, forçant, un modèle qui devient abstrait dans ses répétitions, perd sa réalité. De devenir de la littérature (ou autre chose) de genre. Dans quelques années, tout cela ne sera qu’un mauvais souvenir. Au même titre que les Croisades ou Austerlitz. On le fait déjà quand les problèmes se déroulent plus loin que le pays derrière la frontière. Vous verrez, ça marche très bien.
C’est encore plus présent après la guerre et les camps, pendant les années du Mur. On s’aperçoit qu’enfin il existe en temps qu’entité, a un nom, et n’est plus réellement caché. Changement, plus parlant qu’il en a l’air. Sa position de magicien lui confère un statut relativement étrange, au point de pouvoir se sentir coupable de l’érection du Mur—mais il n’y est pour rien, à peine un pion qui n’a pas servi. C’est à peu près là que sa vie, racontée par le double prisme de sa mémoire et des mots d’Andermans, arrive à sa fin, contemplant l’inutilité de ses actions, comme si la magie, dans un pied de nez d’une longueur effrayante, avait décidé de détourner son attention de ce qui était. Passer du côté de l’officiel après les années de peur n’a pas changé : le Mur de Berlin labyrinthique devient une métaphore facile et bien ficelée de son emprisonnement.

Aussi le prestige. Pas celui de l’admiration, du charme ou du respect, mais celui de la magie. Ce serait un peu idiot de le raconter. Qu’il suffise de dire que tout se tient encore, prenant une nouvelle fois les thématiques d’histoire, de langage, de culpabilité et de vraisemblance/vérité, de fin pour les secouer une fois de plus, tapotant un cul de bouteille bleue de ketchup pour voir ce qui sortira. Quand aura-t-elle fini de nous faire regarder autre part ? S'apercevra-t-on au bon moment du détournement.
Question, quatrième : Qu’est l’Histoire ?
Elle ne s’arrête pas. Même mensonge, elle est la seule vérité que l’on puisse se permettre d’avoir. Surtout si les mensonges forment mieux la vérité qu’une vérité. Heureux que le purin soit fertile. Omega Minor est aussi l’étude du point de rencontre entre le présent et l’histoire, la mémoire. Elle s’approche de plus en plus rapidement, la limite que l'on croyait fixée est proche que prévu.

Ici on y retourne un peu, voir ce que peut-être on avait oublié. Le réel finit par apparaître, rapidement, et encore une fois la graine est comme Œdipe. Comme lui, elle a échoué, mais s'est donné une nouvelle chance avant de s'en apercevoir.

« The struggle of Text against World. The World wins. »
FAIL
« Fight to transcend our uselessness. »
« and faith is everything. » L’oméga est encore minuscule. La fin grandit. Mais… attendez, je retourne mes pages. Le paramètre Omega est la constante cosmologique. Voilà, 211 : « What is Omega ? Omega is the parameter that describes the future of our universe. If Omega is greater than one, then the universe is open, and it will forever expand. If Omega is less than one, then the universe is closed and after […] » etc. on connaît tous la théorie du big crunch.
Le paramètre Omega est la constante cosmologique (deuxième). Il est presque égal à un. Il faut chercher les choses qui pourraient exister, pour savoir comment finira l’univers (rien que ça). Et cette fin (du roman), qui pourrait ressembler à je ne sais quelle lambda merde à suspense et explosions, donne. Expansion éternelle, à se densifier ou—plus probable—se refroidir, voire rien du tout ? ou se réduire avant un nouveau cycle ? Le nouveau cycle lui-même, à des échelles si gigantesques, devient un simple espoir de voir tout ça continuer. Si Omega > 1, soyons heureux, la trace quantique laissée par nos fesses sera éternelle. A quoi bon ? A voir qu'à étage réduit, en décennies, on peut. A voir quelle dose de destruction demande l’arrivée du nouveau, à tous les niveaux. Et si on peut partir en se marrant, finir avec sa preuve.
accélérer. utiliser le choc—répéter.



Voir aussi :
- les quelques paragraphes du tout début traduits par Claro.
- une interview de Paul Verhaeghen sur bookslut, qui revient sur le bouquin et sur le fait de se traduire soi-même (rappel : Omega Minor a été écrit en néerlandais, Paul Verhaeghen, belge d'origine, assurant donc sa propre traduction en anglais, laissant des petits bouts d’allemand et de français (pas très justes d’ailleurs) dedans. Quoi qu’il en soit, au niveau de la langue, ça sonne souvent très bien. On apprend aussi qu’on s’est fait couper 120 pages de notes)

15.1.08

kewl

What is it that I do again ? I fool around with people's minds, and I have precious little to show for it. Donatella on the other hand is working on a small, portable cosmogony.


(Paul Verhaeghen, Omega Minor) (c'est moi qui souligne)

14.1.08

in-2

« Quand j’étais au lycée, j’ai dû écrire un essai imitant le style et reprenant le sujet du « De la lecture » de Bacon, et je me souviens y avoir inclus tous les clichés confortables. Je n’ai pas dit que les livres m’incitaient à la masturbation. Je n’ai pas parlé des cauchemars, des rêveries, de la douleur, de la solitude qui vous raidit la queue. J’ai évoqué l’émerveillement et la curiosité, l’évolution du caractère, le changement de la sensibilité, l’enrichissement de l’esprit, mais je n’ai rien dit de la disparition du moi dans un terrible tremblement de terre. Je n’ai pas dit que lire vous enfonçait une lame dans le corps. Je n’ai pas dit que l’homme — quand il porte calmement à sa bouche sa cuiller de céréales pendant que les mots transpercent ses yeux sans laisser de plaie — sépare plus bruyamment que ne le font ses mouvements de mâchoires, devient un golf, une Mer Rouge que personne ne franchira, un guet à pied sec. Il n’y a pas de miracle plus menaçant que celui-ci. Je n’ai rien écrit sur le lent retour qu’opère le corps après un récit comme s’il revenait du pays des fièvres, sur cette impression d’être à part comme si vous étiez touché par les dieux. Je n’ai pas parlé du désespoir de ne pas vouloir être soi-même ou du désespoir inverse qu’est l’absolue entéléchie. Je n’ai pas parlé de la lecture comme d’un refuge, d’une drogue ludique, d’un jugement impitoyable. Ah, Walter von der Vogelweide, Wolfram von Eschenbach. Vous saviez déchiffrer les roses à l’endroit même où ma tête était posée. Et je n’ai pas parlé non plus du fait de mettre dans ma bouche des mots magiques comme ceux que Hausen ou Morungen écrivaient pour faire de mon esprit un miracle médiéval ; parce que je devenais la conscience qui composait le poème ou le paragraphe ; je devenais grandiose et alambiqué comme Browne ou austère comme Swift ou aussi dense et riche que Shakespeare, vif que Pope. Voici Büchner, Raspe, Richard Dehmel. Voilà Stefan George et Stephen Spender. Ah, Guido Calvacanti. Une cave. Un con. Camus. La douce muse de Hartmann von Aue ou celle […] »

William Frederick Kohler, Le Tunnel

8.1.08

alterlude

grâce à la télévision, je sais que La Route (qui bénéficie d'un buzz peu commun) est un bouquin que lira selon quelque vraisemblance Alain Delon et qui surtout est un roman avec du suspense dedans (vont-ils se faire manger par des cannibales ? ou encore se faire violer par un chien errant ?). C'est étrange, quand je l'ai lu, en anglais directement messieurs-dames, ce n'était pas un aspect qui m'avait spécialement frappé, peut-être simplement parce qu'il n'existe pas. Cela se rapprochait, même si la comparaison n'a pas grand intérêt, plus d'un Beckett ou même si Godot finissait par se montrer, personne n'y croirait vraiment et s'empresserait de lui botter le cul pour fignoler d'autres choses. Y voir du suspense semble le comble du malvenu : peut-être que cela permet de faire vendre un peu plus. Je reste circonspect, suspect même quant à une lecture de ce roman à laquelle participe le suspense. Il y a tant que s'y arrêter a l'air risible. Merci télévision ;

;

tout à l'heure j'ai vu pour la première fois l'intégralité du Hell in a Cell entre Mankind et l'Undertaker au KOTR '98. Par dizaines rapides j'avais déjà vu le bump de Foley du haut de la cage, ne savais pas qu'il arrivait si vite. Le plus intéressant, si l'on s'écarte rapidement du match, c'est que c'est un de ces rares moments où l'on se demande réellement si l'on est encore dans le kayfabe ou non. La où le catch est une fiction jouant sur ses propres semblants, on en vient à se demander (ce qui en soi est terrible) si ce genre de chose participe encore de la fiction ;

Rimbaud m'emmerde ;

4.1.08

Odile, Queneau.


Odile est un des romans les plus, voire simplement le plus conventionnel, pour ce que ce genre d’expression veut dire, de Raymond Queneau. A fortes tendances autobiographiques (il peut d’ailleurs être considéré comme une suite directe du précédent : Les Derniers Jours) , il y est question du retour du jeune Roland Travy en France, après son service militaire au Maroc. « Lorsque cette histoire commence, je me trouve sur la route qui va de Bou Jeloud à Bab Fetouh, en longeant les murs de la ville. » Revenu à Paris, Roland rencontrera rapidement Saxel (qui pourrait être Aragon), et par son intermédiaire l’ensemble du groupe surréaliste, mené par Anglarès (André Breton). Travy, féru de mathématiques, à demi amoureux d’Odile, passera perplexement au milieu, s’affinant ou repoussant, à observer de son œil détaché quoi qu’il en dise le groupe et ses comportements. Conventionnel parce que s’il utilise quelques néologismes ou figures peu usitées, Odile est un roman qui ne se sert pas du langage oral sous toutes ses formes (ce qui reste encore la marque de fabrique dans l’imaginaire commun de ce que peut faire Queneau), n’est pas spécialement drôle, est frappé de réalisme direct, n’a pas forcément non plus de structure chiffrée (alors même que Travy est mathématicien). Disons que le côté désabusé est plus visible que dans ses autres écrits, comme il peut l’être aussi dans Les Derniers Jours : en cela qu’il s’appuie sur sa propre vie de l’auteur, Odile fait plus fortement écho à des thématiques certes présentes dans toute l’œuvre quenienne, mais que l’on a tendance à oublier occulter au profit du draule, derrière les calembours et l’impressionnant arsenal comique du meussieu. Précisons aussi que c’est le seul (hormis Chêne et Chien, court roman en vers) écrit à la première personne, ce qui rend l’arrivée d’un « tu » unique chose inopinée (je ne voudrais pas dire une bêtise, mais il me semble qu’on trouve exactement la même chose dans Glamorama (Bret Easton Ellis), même si c’est encore autre chose (peut-être bien que c’est un glissement du « je » de Victor Ward à un « il » et non à un « tu », bref)).

Toute une partie du roman est donc une sorte de portrait du milieu littéro-anarchiste de l’époque. Anarchiste(s) pour la forme, évidemment. Littéraire peut-être aussi, on se demande. Tant tournés en dérisions, eux comme leurs façons, l’un entraînant l’autre, inversement. Peu après sa présentation au groupe, Travy fait état de son amour des mathématiques. Anglarès n’aime pas les mathématiques, en est même plutôt fier. Travy exprime une théorie qui, accommodée à la sauce d’Anglarès, lui fait se souvenir de la capacité des chiffres comme base sérieuse à l’astrologie, et surtout s’apercevoir que tout ce qu’il fait (les rêves, les drogues, le spiritisme) peut-être lié à cet « inconscient mathématique », qui même sur les plans les plus scientifiques peut mettre la raison au sol. Fort d’un « pronostic » poétique écribouillé quelques temps plus tôt, Anglarès fait profiter le groupe de ses talents prophétiques part le biais du meilleur décrypteur du groupe (Vachol, qui pourrait être Benjamin Péret). Le groupe, plus occupé à maintenir son unité qu’autre chose, acquiesce. Travy devient partie du groupe, partie assez floue, accroché plus pour le fait même d’être accroché. Les « rivalités » avec d’autres groupes, les fondues des uns dans les autres, les engagements politiques fluctuants et factices de tous, le souci de visibilité face au prolétariat qui ne pourra se libérer que par le psychisme, infra et théosophe, les mensonges et les sorties en éclaireur pour écouter une médium faire parler le fantôme de Lénine auront raison de lui. Pour la cohérence, la brisure effective se déroule après une situation assez forte pour qu’elle paraisse justifiée, comme s’il y avait besoin de montrer à ces grandiloquentes andouilles la rupture, incapables qu’ils seraient de concevoir la subtilité autre part que dans le spiritisme ou les divergences minimes entre concepts politiques, différences que l’on doit s’obliger à étendre pour parler de quelque chose. Encore lui-même englué dans ces mouvements trop amples, il commence à s’en défaire, laissant tomber tout cela avant de changer.

La figure d’Odile, avant la dernière partie du roman, n’est que peu présente. Même sur la fin, ce qu’en pense Travy rejoint remarquablement ce qui se passe. Elle est dans le coin, rencontrée de-ci de-là, à moitié ignorée ; quand il y a un problème Travy est là pour aider, au final il y a un mariage, plus ou moins arrangé, battant vite de l’aile. Travy ne veut pas être « normal » ; le dirty little secret, c’est que c’est peut-être pour ça qu’il a rejoint les surréalistes et leurs manières infrapsychiques, histoire de remplir. C’est surtout que c’est idiot, que le « contre » en soi n’existe généralement pas autre part que dans les citrons créateurs de « contre ». Au bout d’un moment il démembrera ouvertement l’aspect puéril de leurs luttes ; ils pourraient louer le fait d’être enfant, mais ne le sont que par régression, non parce qu’ils auraient « complété » leur vie en tant qu’homme. Mesquins, idiots, ridicules et finalement pathétiques. Au milieu, Travy mettra quelque temps, quelques amis et un voyage en Grèce à s’apercevoir que d’une manière moins prononcée peut-être, il était et faisait de même, incapable de rejoindre Odile, incapable d’affirmer et de s’épanouir, bloqué par des aspects obstinés dont on a coutume a posteriori de parler en termes de paille, de poutre et d’œil. C’est ce voyage en Grèce, remué par ce Vincent N…, couplé à des réminiscences marocaines et cet « Arabe immobile » récurrent maintenant à côté, qui lui ouvrira à nouveau des portes, le fera, presque littéralement, renaître. Ainsi à deux pages de la fin : « Mon histoire finit là. Après cela j’ai continué à vivre :naturellement ; ou plutôt j’ai commencé ; ou bien encore : j’ai recommencé. », et de se focaliser sur l’idylle, après l’odyssée, sur Odile.

Aussi ce calembour, le seul vraiment laisser à traîner ici, désuet on dira même miteux, à propos d'un crocodile qui croque Odile... Par le biais d'une quelconque idiotie médiumnique, Anglarès s'est approprié aux yeux de ses camarades la figure du crocodile, son animal totémique, comme il se dit. Assez rapidement, on croit que ce jeu de mots recoupe le roman, à savoir quand Odile pourra ressortir du crocodile. Le prendre inversement semble assez faux, étant donné qu'Odile est avalée dès avant le début du roman ; il s'agit de la faire sortir, et par elle ce que peut être Travy.

(Pour nous lecteurs, c’est également l’occasion de voir comment s’est mis en chantier, en branle, en mouvement le Chiendent, son premier roman, commencé dans la fin de celui-ci. Rien n’est dit dessus, il n’y a pas d’abyme mis. Mais historiquement, là-bas, à Mykonos, a débuté tout ça.)

2.1.08

"Il y en avait bien des milliers."


— Excusez-moi, je vais rentrer à Paris. Et vous-même, habitez ici ?
— Non, Paris. Mais je vais passer quelques jours ici. J'observe un homme.
— Romancier ?
— Non. Personnage.
— Au revoir, Le Grand.
— Adieu, Narcense.

Raymond Queneau, Le Chiendent.

Comptais mais ne peux pas, poste uniquement la fin de ce que j'avais commencé; ne sais plus, ne me demandez rien je pourrais répondre, posez vos questions je suis muet.
Même si ces mots sont devenus un cliché (ainsi qu'une solution de facilité incroyablement frustrante), toujours quelques uns comme ça...
L'image c'est cadeau, peut-être le message complet sera-t-il posté revu et plus tard.