4.1.08

Odile, Queneau.


Odile est un des romans les plus, voire simplement le plus conventionnel, pour ce que ce genre d’expression veut dire, de Raymond Queneau. A fortes tendances autobiographiques (il peut d’ailleurs être considéré comme une suite directe du précédent : Les Derniers Jours) , il y est question du retour du jeune Roland Travy en France, après son service militaire au Maroc. « Lorsque cette histoire commence, je me trouve sur la route qui va de Bou Jeloud à Bab Fetouh, en longeant les murs de la ville. » Revenu à Paris, Roland rencontrera rapidement Saxel (qui pourrait être Aragon), et par son intermédiaire l’ensemble du groupe surréaliste, mené par Anglarès (André Breton). Travy, féru de mathématiques, à demi amoureux d’Odile, passera perplexement au milieu, s’affinant ou repoussant, à observer de son œil détaché quoi qu’il en dise le groupe et ses comportements. Conventionnel parce que s’il utilise quelques néologismes ou figures peu usitées, Odile est un roman qui ne se sert pas du langage oral sous toutes ses formes (ce qui reste encore la marque de fabrique dans l’imaginaire commun de ce que peut faire Queneau), n’est pas spécialement drôle, est frappé de réalisme direct, n’a pas forcément non plus de structure chiffrée (alors même que Travy est mathématicien). Disons que le côté désabusé est plus visible que dans ses autres écrits, comme il peut l’être aussi dans Les Derniers Jours : en cela qu’il s’appuie sur sa propre vie de l’auteur, Odile fait plus fortement écho à des thématiques certes présentes dans toute l’œuvre quenienne, mais que l’on a tendance à oublier occulter au profit du draule, derrière les calembours et l’impressionnant arsenal comique du meussieu. Précisons aussi que c’est le seul (hormis Chêne et Chien, court roman en vers) écrit à la première personne, ce qui rend l’arrivée d’un « tu » unique chose inopinée (je ne voudrais pas dire une bêtise, mais il me semble qu’on trouve exactement la même chose dans Glamorama (Bret Easton Ellis), même si c’est encore autre chose (peut-être bien que c’est un glissement du « je » de Victor Ward à un « il » et non à un « tu », bref)).

Toute une partie du roman est donc une sorte de portrait du milieu littéro-anarchiste de l’époque. Anarchiste(s) pour la forme, évidemment. Littéraire peut-être aussi, on se demande. Tant tournés en dérisions, eux comme leurs façons, l’un entraînant l’autre, inversement. Peu après sa présentation au groupe, Travy fait état de son amour des mathématiques. Anglarès n’aime pas les mathématiques, en est même plutôt fier. Travy exprime une théorie qui, accommodée à la sauce d’Anglarès, lui fait se souvenir de la capacité des chiffres comme base sérieuse à l’astrologie, et surtout s’apercevoir que tout ce qu’il fait (les rêves, les drogues, le spiritisme) peut-être lié à cet « inconscient mathématique », qui même sur les plans les plus scientifiques peut mettre la raison au sol. Fort d’un « pronostic » poétique écribouillé quelques temps plus tôt, Anglarès fait profiter le groupe de ses talents prophétiques part le biais du meilleur décrypteur du groupe (Vachol, qui pourrait être Benjamin Péret). Le groupe, plus occupé à maintenir son unité qu’autre chose, acquiesce. Travy devient partie du groupe, partie assez floue, accroché plus pour le fait même d’être accroché. Les « rivalités » avec d’autres groupes, les fondues des uns dans les autres, les engagements politiques fluctuants et factices de tous, le souci de visibilité face au prolétariat qui ne pourra se libérer que par le psychisme, infra et théosophe, les mensonges et les sorties en éclaireur pour écouter une médium faire parler le fantôme de Lénine auront raison de lui. Pour la cohérence, la brisure effective se déroule après une situation assez forte pour qu’elle paraisse justifiée, comme s’il y avait besoin de montrer à ces grandiloquentes andouilles la rupture, incapables qu’ils seraient de concevoir la subtilité autre part que dans le spiritisme ou les divergences minimes entre concepts politiques, différences que l’on doit s’obliger à étendre pour parler de quelque chose. Encore lui-même englué dans ces mouvements trop amples, il commence à s’en défaire, laissant tomber tout cela avant de changer.

La figure d’Odile, avant la dernière partie du roman, n’est que peu présente. Même sur la fin, ce qu’en pense Travy rejoint remarquablement ce qui se passe. Elle est dans le coin, rencontrée de-ci de-là, à moitié ignorée ; quand il y a un problème Travy est là pour aider, au final il y a un mariage, plus ou moins arrangé, battant vite de l’aile. Travy ne veut pas être « normal » ; le dirty little secret, c’est que c’est peut-être pour ça qu’il a rejoint les surréalistes et leurs manières infrapsychiques, histoire de remplir. C’est surtout que c’est idiot, que le « contre » en soi n’existe généralement pas autre part que dans les citrons créateurs de « contre ». Au bout d’un moment il démembrera ouvertement l’aspect puéril de leurs luttes ; ils pourraient louer le fait d’être enfant, mais ne le sont que par régression, non parce qu’ils auraient « complété » leur vie en tant qu’homme. Mesquins, idiots, ridicules et finalement pathétiques. Au milieu, Travy mettra quelque temps, quelques amis et un voyage en Grèce à s’apercevoir que d’une manière moins prononcée peut-être, il était et faisait de même, incapable de rejoindre Odile, incapable d’affirmer et de s’épanouir, bloqué par des aspects obstinés dont on a coutume a posteriori de parler en termes de paille, de poutre et d’œil. C’est ce voyage en Grèce, remué par ce Vincent N…, couplé à des réminiscences marocaines et cet « Arabe immobile » récurrent maintenant à côté, qui lui ouvrira à nouveau des portes, le fera, presque littéralement, renaître. Ainsi à deux pages de la fin : « Mon histoire finit là. Après cela j’ai continué à vivre :naturellement ; ou plutôt j’ai commencé ; ou bien encore : j’ai recommencé. », et de se focaliser sur l’idylle, après l’odyssée, sur Odile.

Aussi ce calembour, le seul vraiment laisser à traîner ici, désuet on dira même miteux, à propos d'un crocodile qui croque Odile... Par le biais d'une quelconque idiotie médiumnique, Anglarès s'est approprié aux yeux de ses camarades la figure du crocodile, son animal totémique, comme il se dit. Assez rapidement, on croit que ce jeu de mots recoupe le roman, à savoir quand Odile pourra ressortir du crocodile. Le prendre inversement semble assez faux, étant donné qu'Odile est avalée dès avant le début du roman ; il s'agit de la faire sortir, et par elle ce que peut être Travy.

(Pour nous lecteurs, c’est également l’occasion de voir comment s’est mis en chantier, en branle, en mouvement le Chiendent, son premier roman, commencé dans la fin de celui-ci. Rien n’est dit dessus, il n’y a pas d’abyme mis. Mais historiquement, là-bas, à Mykonos, a débuté tout ça.)

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Ton analyse du bouquin est très précise et vraiment intéressante mais vraiment pas facile à lire. Tu devrais faire des phrases plus courtes et arrêter de mettre des virgules à tout bout de champ. Il faut s'accrocher pour comprendre où tu veux en venir à chaque fois

Anonyme a dit…

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Anonyme a dit…

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Anonyme a dit…

Juste quelques mots que m'inspirent vôtre analyse:
-Que la "structure chiffrée" d'Odile ne soit pas apparente ne prouve pas que le roman ne réponde pas (comme les autres) à une structure fixée mathématiquement.
-Vincent N. pourrait être Michel Leyris.
-Le réglement de compte avec les suréalistes n'est qu'un des décors du livre (auquel s'ajoute en contrepoint le milieu interloppe que fréquente Travy, et où il rencontre Odile; et n'oublions pas l'expérience de la guerre qui ouvre le livre et qui, pour succinte qu'elle soit en fixe une des bornes). Le vrais sujet du roman, c'est la difficulté à trouver une place dans cette vie: Travy répond au mêmes troubles de sociabilité que Tuquedenne dans Les Derniers Jours, que Daniel dans les Enfants du limon, et que bon nombre de personnages postérieurs (qualifiés de "Pierrot lunaire" dans la notice biographique des éditions de poches). Ce regard sur le monde qui permette d'y trouver sa place, en harmonie avec lui, est justement ce qui intrigue Travy dans la sérénité du vieillard contemplant l'horizon sur la route de Bou Jeloud. le retour de cette image, qui est le refrain du livre, est la clé de l'ouvrage.
-Dernière divergence entre ce que vous dîtes et mon souvenir du roman: le comique: Odile, plus satirique que bouffon est à mon sens un des livres les plus drôles de Queneau et sans doute le plus méchant. La bienveillance du juge d'instruction amateur de mathématique et qui se heurte à la haine "de classe" théorique de Travy est un bon exemple du comique profond qu'on trouve dans ces pages...
Merci toutefois pour votre effort d'analyse et pour ce blog.

Kees a dit…

What is the intention of the 2 ways to write: Bad Fetouh (2 times) or Bab Fetouh (other citations)? Anyone an idea?
Other calembour: "elle s'appelait Manon (bien vrai)" (p.42 nrf).