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14.1.08

in-2

« Quand j’étais au lycée, j’ai dû écrire un essai imitant le style et reprenant le sujet du « De la lecture » de Bacon, et je me souviens y avoir inclus tous les clichés confortables. Je n’ai pas dit que les livres m’incitaient à la masturbation. Je n’ai pas parlé des cauchemars, des rêveries, de la douleur, de la solitude qui vous raidit la queue. J’ai évoqué l’émerveillement et la curiosité, l’évolution du caractère, le changement de la sensibilité, l’enrichissement de l’esprit, mais je n’ai rien dit de la disparition du moi dans un terrible tremblement de terre. Je n’ai pas dit que lire vous enfonçait une lame dans le corps. Je n’ai pas dit que l’homme — quand il porte calmement à sa bouche sa cuiller de céréales pendant que les mots transpercent ses yeux sans laisser de plaie — sépare plus bruyamment que ne le font ses mouvements de mâchoires, devient un golf, une Mer Rouge que personne ne franchira, un guet à pied sec. Il n’y a pas de miracle plus menaçant que celui-ci. Je n’ai rien écrit sur le lent retour qu’opère le corps après un récit comme s’il revenait du pays des fièvres, sur cette impression d’être à part comme si vous étiez touché par les dieux. Je n’ai pas parlé du désespoir de ne pas vouloir être soi-même ou du désespoir inverse qu’est l’absolue entéléchie. Je n’ai pas parlé de la lecture comme d’un refuge, d’une drogue ludique, d’un jugement impitoyable. Ah, Walter von der Vogelweide, Wolfram von Eschenbach. Vous saviez déchiffrer les roses à l’endroit même où ma tête était posée. Et je n’ai pas parlé non plus du fait de mettre dans ma bouche des mots magiques comme ceux que Hausen ou Morungen écrivaient pour faire de mon esprit un miracle médiéval ; parce que je devenais la conscience qui composait le poème ou le paragraphe ; je devenais grandiose et alambiqué comme Browne ou austère comme Swift ou aussi dense et riche que Shakespeare, vif que Pope. Voici Büchner, Raspe, Richard Dehmel. Voilà Stefan George et Stephen Spender. Ah, Guido Calvacanti. Une cave. Un con. Camus. La douce muse de Hartmann von Aue ou celle […] »

William Frederick Kohler, Le Tunnel

18.4.07

Fourrure.

Le tiers (3) du « Tunnel » viendra après recul, peut-être jamais.
Dommage, y’en a des choses à dire.

Citons donc les deux fois où le mot otarie se trouve (au pluriel) dans le texte...

« … la graisse dans laquelle j’ai glissé est aussi glissante qu’un toboggan à otaries. »
page 64.
« … ; aussi j’insiste pour qu’ils s’unissent, sortent de leur solitude comme des otaries de la mer ; … »
page 267.

N’en restons pas là ! En à peine 250 pages d’Against the day, j’ai trouvé deux fois le mot walrus. On m’arguera que walrus, c’est plutôt phoque qu’otarie, mais allez donc au diable.
« … the braised blubber with cloudberries, skua eggs any style, walrus chops, and snow parfaits, not to mention the widely praised Meat Olaf, which was This Week’s—in fact Every Week’s—Special … »
page 135.
« Sometimes there were real-life explanations—some polar bear or walrus scented from miles away. »

9.4.07

Le tunnel. Tiers approximatif (2).

Voir le premier tiers. C'est pas dur, il doit être juste en dessous.

Dès le début du Tunnel, frappe, en dehors des thématiques, la prose de William Gass. Foudroyant ne convient pas. ça n'a rien d'une claque dans la gueule; une claque est directe. Dans ta face, puis rien, repos. Si Gass est direct, il ne lâche pas, il ne sait pas lâcher, continue, le niveau est. Là. On dit déjà merci au traducteur Claro pour avoir rendu la beauté, la musicalité, la mélodie du phrasé et des mots, pour avoir rendu ça au milieu de la densité, pour le temps que ça à pris probablement. Je pourrais et veux citer des passages, mais reste comme un idiot à ne pas savoir quoi prendre. Pourtant. C'est aisé, on peut considérer qu'à peu près chaque phrase illustrerait relativement bien, appuierait de correcte façon cette force, cette rythmique presque, cette harmonie. Reste que je ne peux choisir. Si, je peux. Mettons ça sur le compte de la flemme.

Beckett. Encore. Point question d'assimiler l'un à l'autre, de lire le premier par le second, de comparer. Je ne trouverais rien d'étonnant à ce que Gass aime Beckett. Plus qu'aime. L'un comme l'autre racontent parlent du pire, d'un pire absurde. Le pire n'est pas le même, mais il est pire. Gass exprime le "fascisme du coeur": le mal sorti de son contexte de mal, oublié, une sorte de perversion de l'esprit, de vice retourné : de vice qui n'est plus un vice, le pire banal, le mal comme bien ou le vice comme vertu, le défaut supposé comme qualité, la valeur noire, ainsi de suite. La perte, l'indifférence. Chercher, creuser. Devenir et rester. La classe. D'ailleurs (d'ailleurs ? ah), Gass n'a pas cette espèce de compassion, de tendresse qu'avait Beckett; on pouvait estimer avec sympathie mesurée un Malone, on ne peut pas spécialement le faire avec un Kohler, on pourrait, mais ce serait admettre qu'on est un gros enculé, et c'est bien connu, à part quelques cyniques barbus et terroristes imberbes douteux, personne n'a envie d'être un gros enculé (Kohler est répugnant, raciste, n'aime rien, n'est aimé de rien, est vieux, laid, a une petite bite et est un sale petit branleur, grognon, obsédé du cul (un bon point si on le remet en perspective) seul, etc.) bref; c'est un des points où leurs pires divergent, AH ! Pas comparaison j'ai dit.

Admettre qu
Kohler est un salaud pur jus, on ne devrait pas pouvoir l'aimer, en tant que gentil bonhomme bisounours (ou même méchant bonhomme bisounours toujours), rien ne pourrait le sauver, et pourtant il est là, une sorte de borne aimantée. Miracle. En creusant, il nous creuse. Fascinant, mélodieux. Travail sur la narration, l'écriture imposant, sans cesse réveillé. De ce genre d'écritures donc de formes qui deviennent un fond, loin de devenir le fond mais un, plus ou moins déterminé qui répond, met en lumière, impose ou repose les autres. On peut rejeter Kohler. Je suis convaincu, sais que d'aucuns estiment qu'on doit le rejeter. Gass n'est pas Kohler, est probablement loin d'être le même genre d'homme, et pourtant ne le traite pas avec mépris, condescendance ou dégoût. Kohler est vrai dans tous ses travers.
Finalement, sans que j'aie noté la citation ou même la page exacte, il semble que l'explication d'une part de la fascination pour Kohler, sa prose, est elle-même contenue dans le bouquin; les choses qu'il n'a lui-même pas écrit dans une sorte de rédaction de sa jeunesse, énumérées, ses raisons qui poussent à lire et qui sont après tout les notres, au moins les miennes.

Passons sur quelque chose qui titille, trille dès le début; Gass le constructeur utilise ce qu'à un autre niveau on appelle artifices; construction, puis les petits dessins, la déstructuration du texte dans son aspect visuel, les marques, les formes, la typographie. Qu'est un "autre niveau" ? qu'est le niveau de Gass ? je ne sais, hormis que Gass est haut. Simplement toutes ces choses qui parsèment le texte ne sont qu'extensions du texte, non; admettre que ce sont des extensions les fait se placer autre part; c'est le texte.

Dernier tiers a arriver, plus malin.

3.4.07

Le tunnel. Tiers approximatif (1).

(ou comment parler d'un bouquin après lecture d'environ son premier tiers et sans réel recul)
(parce qu'on ne sait pas comment aborder, parce qu'on a envie de le lire lentement)

L'innommable de Beckett était un point fixe, oublié. Son Malone mourant, lui, savait se mouvoir un minimum, écrire. Les deux s'inventaient (encore que de façons et dans des optiques différentes qui reviennent finalement au même) personnage sur personnage, comme couches successives d'eux-mêmes.

Le William Frederick Kohler de Gass est une sorte de Malone. Comme l'imprécis personnage de Beckett, ses pensées évoluent dans un monde réel mais peuplé de personnages imaginaires, plutôt de bouts de sa personne, projetés dans le passé. Abusif serait de prétendre que tous les évoqués comme connaissances passées de Kohler sont fictifs et ce même pour lui, reste au moins cela; dès le début du texte les preuves pour détectives en herbe pointent leur nez : Tabor "rafistole l'histoire" (p. 17), les amis de Kohler s'estompent, ses souvenirs s'assimilent à des "fientes de pigeons" (p.19), de quoi faire crépiter la limite entre un passé réel et des incarnations présentes. (Avec les pages qui tournent on trouvera quelques autres phrases pouvant aller dans le même sens, créant tout un réseau enfumé de personnages reliés autour de Kohler car étant, l'ensemble se formant par accumulations d'alter-ego.)
1) Les noms restent, ce qu'ils incarnent aussi, ce qu'ils étaient est évaporé, laissant à Kohler le bon soin du remplissage. 2) Tout est remplissage. Les deux se valent. Le parallèle s'accentue avec un Malone qui parlait, remplissait pour attendre sa mort, pour repousser peut-être un peu son échéance, y arriver sans s'en apercevoir. Simplement; pour passer le temps. Ils ont. commencé. C'est trop tard, lancé. Comme un narrateur hors de l'histoire, narrant le narrateur proposé, comme un narrateur hors du texte ou auteur plongé, une innommable entité conteuse à plusieurs degrés, hors du temps et de l'espace, faisant avancer inexorablement ses mots.

Mais revenons au début. Kohler transpire de moins en moins sur son dernier ouvrage "Culpabilité et innocence dans l'Allemagne de Hitler". Kohler est historien. Travestit-il l'histoire ? Bof. 3) qui n'est qu'un 1) modifié; les noms (Herschel, Governali, Culp,...) sortent de son "C & I" et son réintégrés au flot. Bof encore. Intéressant. Douteux aussi. Quoi qu'il en soit, à la place de l'introduction qu'il projette, il bloque et glisse dans son bouquin, pour les cacher à sa femme, feuille sur feuille, feuillets issus de pensées, souvenirs, famille, langues, auteurs, travers, femmes. Il creuse. Arrive le quart du bouquin, il creuse réellement sous chez lui. Réellement ? Si c'est un innommable, rien n'est plus douteux. Fi. Un vrai tunnel donc, qui rejoint l'autre, celui parlé, celui du parlé, du parler. On revient à Beckett, à Molloy, et on ne s'étonnerait pas qu'avec le temps, Kohler rampant devienne, s'exclame extasie sur la possibilité de reptation, pour toujours avancer, rejoindre, continuer.

4) Planmantee, Tabor, Culp, ... sont des ersatz des membres familiaux disparus, remis au(x) (dé)goût(s) du jour, parents détestés ou enfants oubliés, Kohler insuffle de nouvelles relations entre eux et lui.
5) Mélange.
6) Tout est vrai.
7) Mélange.

Rilke. Il parle de Rilke. Accumule les noms, fait son Jules César, donne une carte de visite sur un plateau (il pourrait être intéressant de chercher en détails larges si les noms des cartes de la page 95 existent et ont un quelconque intérêt. Logique voudrait que ce soient simplement de vrais noms nobilieux (des copainpines de Rilke...), et point barre.) estampillée Thurn & Taxis, qui fait entre autres penser à Pynchon, au Lot 49 d'ailleurs, cause de Gide, donne Flaubert, fait le malin, questionne, tourne son passé, ses collègues, amours, couilles. Femmes, trous. Kohler est ignoble. Kohler est intelligent. Kohler est raffiné, fascinant, imposant, poli cultivé. Ignoble. Dérangeant, fermé. On oublie.

(parce qu'on continuera, plus longuement, sans parler de Beckett. Ou peut-être que si.)