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29.12.07

"It's a masked man [...] ask him what he wants, Tom."

James Boswell est jeune. Musclé. Vit avec son oncle. A eu un enfant, qu’il ne connaît pas. A peur de la mort. Ou peut-être de mourir. En tout cas, il croit en la mort, sait qu’elle existe. Il aime aller au club de gym. Dire « Because my heart is pure. ». Bizarrement, google vous indiquera qu’il était écossais, vivant au 18ème siècle, et surtout réel. Google est nul.


Quand il quitte son oncle, Boswell se retrouve à la rue. Coup de fil, sommeil compliqué chez un camarade musclé. Il écrit au « Grand Sandusky », un homme fort. Finalement, le rencontre, déçu mais sachant se requinquer. Puis continue. Boswell devient un catcheur, le « Playboy Masqué », gimmick de fils riche qui la nuit revêt son costume pour botter des fesses. Un soir, il doit se battre contre John Sallow, le « faucheur » (la faucheuse va très bien aussi, d’ailleurs si je me souviens bien, c’est « la faucheuse torve » son vrai nom de masque), brute désincarnée. Se fait presque tuer sur le ring. Ou plutôt meurt presque. Puis il récupère, et avance, apprend avec difficultés à devenir riche. De fil en aiguille, de combine en combine, Boswell rencontre tout le monde, se fait connaître ou reconduire à la sortie, s’il vous plaît monsieur c’est une soirée privée. Embobine un Prix Nobel, s’acoquine avec des cuisiniers en vue, marche vers les dirigeants secrets de ce monde. On ne sait trop comment—les connaissances la haute société doivent être un exemple magnifique d’induction (rapide)—, il épouse la dernière descendante des Médicis, la Principessa Margaret, Princesse de toutes les Italies, occasion d’un voyage à Rome, d’une virée sexuelle au Colisée, de rencontre jouée avec le fils de Mussolini, d’un ensemble de passages combinés incroyablement drôles. Boswell est stérile. Pourtant, si l’on a suivi, il a eu un enfant. Boswell est stressé, malade, abandonné, ses combines et sa nourriture spirituelle—par une persuasion de longue durée, il absorbe presque la reconnaissance publique des autres, la sienne n’ayant aucun intérêt, pour rester à son meilleur niveau—ont disparu depuis qu’il s’est fixé avec Margaret, s’obligeant à suivre des logiques pour admettre que son couple et les individus qui le forment (le couple) peuvent être normaux. Il lui faut reprendre, même si ça implique un départ de sa situation privilégiée (argent, famille, car en passant son fils s’est installé chez eux). Pour la fin, avancée, se débrouille afin de réunir les deux cents plus grands, en une soirée par mois, peut-être par trimestre. Et, pour l’ouverture, change leurs perspectives. Boswell n’est pas un rigolo.

15.10.07

grip

"La maladie n'est peut-être, après tout, qu'une accélération de la vie."
Yukio Mishima, Une soif d'amour


Des gamins en phase terminale qui vont à Disney World, on peut oui oui je crois bien qu'on peut résumer le dehors de The Magic Kingdom de cette façon.
Déjà, le pourquoi : Eddy Bale a lui-même perdu son fils de douze ans, Liam, après quatre ans de maladie. A d'ailleurs peu après cela été abandonné par sa femme, ce qui est intimement lié et sera évoqué par touches un peu rêches (on comprend qu’Ed rechigne a évoquer son départ, plus vexé que triste au premier abord) puis frontalement vers la fin du roman, dans une autre sorte de cyclicité. Depuis, disons qu'il est un peu obsédé, est devenu le personnage de sa propre semi-tragédie, et s'est débrouillé pour mener à bien un projet, qui consiste à faire aller quelques gamins, tous en phase terminale de différentes maladies— progéria, maladie de Gaucher, fibrose cystique, etc.— , à Disney World, pour un voyage d'une semaine, le genre de voyage qu'il [Eddy] suppose qu'eux [les gamins] aimeront, et seront bien contents d'avoir vu (au moins une fois, une seule et/ou dernière fois) des choses brillantes et folles et mignonnes et chaudes et festives et colorées du Royaume Magique. Voir Naples et mourir. Une sorte de dernier voyage pour faire pétiller leurs yeux, un "last hurrah dream vacation" de quelques jours pour ces enfants déjà hors du monde. Se lèvent les fonds face à la figure d'Eddy, continuant sur sa lancée de plus grand mendiant du Royaume-Uni (il a quémandé un paquet, nombres foules et moult picaillons, doublons fifrelins et louis d’or pour son propre fils, faisant d’eux deux des figures publiquement reconnues). Bref. Les gamins partent de Londres avec des (quatre plus Eddy pour être précis) accompagnateurs un peu flous (une fofolle de la nounouterie, un espèce de flirter invétéré (Colin Bible, oui Bible comme la Bible, nom occasion de jeux de mots, d‘ailleurs les autres noms ont une sorte de résonance…), un docteur un peu terne de prime abord et une spécialiste de l'enfantement de monstrumains).



L'aventure entre roulage sur roulettes et partition en sucette, entre la découverte qui se passe comme on l'aurait souhaité et les drôles de choses qui déboulent on n'a jamais su comment. Une tempête de neige; des rêves qui se che— il faut aussi préciser que quelques uns des gamins ont un signe physique relativement particulier (l'une a la peau bleue à cause d'un manque d'oxygénation du sang, l'autre morve en permanence, une troisième a l'air enceinte à cause d'une énorme tumeur, le jeune homme atteint de progéria a évidemment les caractéristiques physiques d'un vieil homme, etc. en gros ce sont des aberrations et ça se voit— vauchent entre eux; des enfants (entre huit et quinze ans) qui sont assimilés aux sept nains, mais à sept nains qui auraient dès le placenta assimilés Blanche Neige et la pomme viciée qu’ils deviennent en grandissant; des Mickey et Pluto terribles, l'hors-costume se projetant dans le costume en situation voulue; et cette petite phrase qui revient comme une ritournelle, qui assomme l'absurde en conservant son reliquat dans ce qui suit : "Because everything has a reasonable explanation.".
Effectivement, tout a une explication. Après l'ellipse et le manque, Elkin retourne sur un autre côté, fournissant l'explication, qui, si rationnelle qu'elle soit, reste fourbe, aussi aberrante finalement que la situation qu'elle voudrait élargir, comme s'il était littéralement impossible d'être raisonnable, logique et que la phrase s'appuyait plus ô au bien plus sur le "everything" que sur le "[reasonable] explanation", hors même de la relation de causalité. L’explication elle-même a une explication, tant au niveau narratif qu’au niveau du signifié, remonter à la source devient vite abscons, et le retour n’en est que plus beau.
Si ces gamins meurent, il y a une explication. Une rationnelle.
Eddy Bale, une idée ? On ne peut pas l’entendre, même hurlée. Ces gamins qui meurent en même temps qu’ils avancent dans la vie, qui savent pour les plus âgés d'entre eux qu’ils n’auront rien de ce qui fait la vie (le sexe, l’expérience, l’autonomie, et ainsi de suite au moins ont-ils déjà appréhendé la solitude à un niveau probablement peu concevable et ont maintenant l’amitié, l’amitié kamikaze d’aller ensemble souriant vers la mort) habituelle, raisonnable.








« She [Mary Cottle, une accompagnatrice] went to him [Charles Mudd-Gaddis, le progérié].
"Charles?" she said.
"Yes, lady?"
"Do you know who I am?"
"The Angel of Death?"
"No," she said.
"Do I get an other turn?"
She stares at him.
"Are you living?"
"Of course I'm living!"
"Are you bigger than a breadbasket?"
"Mudd-Gaddis!"
"How many is that?"
"Mudd-Gaddis!"
"Do you reside in eastern Europe west of the Odra?"
"I'm Mary Cottle!" she said.
"That was my next question." He looked at her. "Yes, Miss Cottle?"
"Nothing," she said.
Because everything has a reasonable explanation. »

Cette explication, c'est aussi (surtout peut-être) que ces gamins vont mourir, ce voyage étant un semblant de concentré de vie. Qu’on n’y peut rien, qu’on aborde le problème de front, qu’on rit hors du temps. Explication ? Arrive le point où elle n'a plus prise, déjà effritée successivement par les niveaux du dessus, elle aussi viciée quand elle retourne à la source.

Suicide de l'humour, qui reste, reste, reste la seule chose à laquelle croire même morte, qui était déjà là face au sujet et donc aux thèmes du roman, qui reste quand tout est parti. S'imbrique dans le tout, atteint le niais et attendrissant Noah Cloth, se projette dans les détails passés de Liam (il n’a commencé à se masturber que deux mois avant sa mort, a eu un seul aperçu de vraie voix le jour où il a eu un chat dans la gorge, a cru qu’on allait le statuedecirer chez Madame Tussaud), dans les gamins qui se font passer pour des magiciens avec dérapage dans le futur, dans le rythme fabulé des phrases, impressionnantes de rythme et de choix. L'humour abusif et désabusé suivant un Pluto et un Mickey qui débarquent d'on ne sait où et inversent leurs rôles jusqu’à la limite, suivant des gamins qui vont se rincer l'œil, une accompagnatrice qui se seule, un moniteur qui joue et gagne pour les gamins. Les franges oniriques où les enfants rejoignent ce qui a une reasonable explanation, ce qui est cette reasonable explanation, et inversement— rejoignent cet everything. L’un glisse chez l’autre, le réveil n’est pas forcément clair, le rêve lui-même pourrait avoir une reasonable explanation.

Magique dans ses gamins qui, au détour d'une parade, auront, dans une scène renversée, l'air normaux face à la dégueulasserie physique (limitons-nous ici au physique, on voit déjà au cours du roman que— même si ce sont des gamins (donc des innocents)— les jeunes n'ont autrement (moralement, psychiquement, intellectuellement, etc.) pas de quoi rougir face au monde, à leurs accompagnateurs et au personnel du parc, et même plutôt l'inverse) de bien des gens, des gens en général, là où (Disney World, c'est à Orlando, il fait beau, on se balade en tenue légère) on voit (après des années en Angleterre, avec ses pluies et ses vêtements) ce qu'est le corps, aussi grotesque souvent qu'une peau bleue ou qu'un vieillard de huit ans, aussi friable qu'ils le sont. Déphasés de leur univers habituel d'objets observés— se composant de deux parties majeures : être fixés / être ignorés— les sept monstres sortent du centre d'attention et s'additionnent au groupe, pour une fois conscients. Le rôle public presque de l'handicapé visible (ahah un mon-streuh je m’en vais le pointer du doigt parce qu’il est tout mo-cheuh) est retourné pour les gamins, simplement annulé dans l'ensemble. ça suffit. Ils conservent leur eux et conversent avec l’autre, qui n’a plus rien d’autre. Encore une fois, la seule différence est leur mort à venir plus rapidement (pour être précis, le fait de savoir qu'il vont bientôt en finir). La seule si l'on ne compte pas celle qui veut que maintenant ils ont compris qu'ils n'ont au fond rien d'exceptionnel. Pas d'apitoiement, juste l'entraide de ces gamins, lancés en couples et en groupes dans le parc, et qui s'amusent, vivent. Si l’un d’eux meurt, c’est un choc, c’est toujours un choc— pourtant on le savait, un fil a lâché, il n’y aura pas de rapide lumière éclairante dans l’œil du moribond; il y en a [eu] une, depuis une semaine, quand après avoir exploré le royaume magique, les gamins ont trouvé le Royaume Magique, pas celui de Disney mais celui d’Elkin, celui un peu naïf il est de le dire d’eux-mêmes, où l’hôtel le Parc l’amitié les buddies et le beau temps ont fonctionné.

« A light, fine snow was falling on the Magic Kingdom. It covered the streets and rooftops of the amusement province with a thin dry powder. [...] That the snow didn't melt at all but connected on the ground, experts attributed to the fact— or speculation, rather— that it must have fallen from a very great height, possibly the stratosphere— well, nothing, a sort of stalled, rare and massive air pocket that just happened to coincide in its dimensions with the boundaries of the park itself. »

Parc embouledeneigifié, glacé et inhabituel. La neige partira vite, mais le parc est une perle, comme le sont les mondes oniriques et fantasques des enfants et accompagnateurs, liés dans un (des) collier(s) sans bout par les fils que sont les mots, les phrases, les unités, les respirations et rythmes de Stanley Elkin. Juste sur cette petite citation, ça doit pouvoir se remarquer : Stanley Elkin écrit dans un rythme assez joyeux finalement, réussissant à combler la friabilité des mots et de ses personnages, collant encore des mots, des bouts de phrases, faisant de son texte une sorte de chose vivante, respirante, du genre à faire bouger les fesses du lecteur. Le plus magique est qu'il y parvient avec une qualité narrative et lexicale (à ce propos, au NY Times on nous précise qu'il n'y a pas le vocabulaire habituel de combat contre la maladie ("We use active images, we ''battle'' illness, we ''conquer'' adversity. Mr. Elkin strips away this false language of valor and health."); je ne l'ai pas spécialement remarqué ou ressenti, mais veux bien les croire) assez folle.

Et de s'achever sur un feu d'artifice mort-né, explosion liant la maladie à son rôle, vie et mort, fantasie fantasme et réel, etc.



10.10.07

Tas.

En vrac et sans motivation;

J’ai lu Half Life (Fausto en a parlé il y a peu — à vrai dire le jour même où je recevais le bouquin c’est chouette hein), de Shelley Jackson. L’histoire de Nora, de Blanche, deux sœurs siamoises (un corps, deux têtes) dont la deuxième a comme un problème de vivacité depuis une quinzaine d’années. Nora décide de faire couper la tête de Blanche (meurtre ? euthanasie ? suicide ? bof ?), poids mort assez gênant. Contact avec une mystérieuse organis— bref donc occasions de se poser des questions sur la relation fraternelle, de revenir sur l’enfance, de se demander si Blanche, si inactive qu’elle ait l’air d’être, ne se cacherait pas dans la tête de Nora (à ce niveau-là, savoir si Blanche est réellement vivante ou non n’a plus trop d’importance), de savoir pourquoi Blanche est sortie du monde, d‘apprendre un peu. De rigoler un bon coup aussi (du comique de niveau haut), avant de s’apercevoir que le monde uchronique qu’on parcourt (les U.S. of A. se sont flagellés avec des bombes atomiques après Hiroshima et Nagasaki, d’où les modifications radioactives siamoises) est le même que le notre, avec ses minorités, pire encore peut-être, avec ses majeurs qui tentent par divers moyens de changer (vont se faire greffer une pseudo-tête parce qu’ils estiment être séparés de ce qu’ils auraient dû être), des psychologies alternatives d’abord pour s’approcher de ce qu’est l’interne d’un siamois, puis qui s’étendront au monde des gens normaux, des défenseurs de tout, de rien, des problèmes et des solutions rigolotes. Fusion, fission.
Peut-être un peu moins convaincu sur la fin, dans un ensemble peut-être plus inégal peut-être, quand le texte se veut embrasser sa forme cyclaire, cassant son rythme comique et fou pour atteindre ses propres lignes au propre (c'est explicité plus d'une fois) comme au figuré hors du propre.

Lu aussi Snow White, la réécriture de Blanche Neige de Donald Barthelme. Avec des faux nains et des cheveux, un prince qui viendra. Collage malade d’une Blanche Neige en manque de mots, collage de trous, d’hideux mateurs et de bruits gras catachrèsiques. De trucs blancs, de neige que l’on retrouve sur un écran de télé déréglé, celle qui forme des images hallucinées de vérité quand on regarde derrière et qui est une preuve (sic…) du fond diffus cosmologique. Deux choses qui me font impression: le roman et le fait de ne rien pouvoir dire de malin à son propos, même en forçant un peu.

Vu Control, d’Anton Corbijn, biopic (comme on dit) sur Ian Curtis, leader de Joy Division. Je ne connais rien à Joy Division, à peine plus à New Order (encore à peine plus sur la musique en général), ai décidé un peu au pif d'aller voir. J'aime. Joy Division et le film. Au milieu des 70es, avec du Bowie ou des Sex Pistols qui montent. Réussi, se concentrant un peu trop sur les histoires de cœur de Curtis (le film se base sur le bouquin de sa femme, on comprend mieux l'axe sur les petites affaires avec une belge et son rôle de père mi-indigne, mais ça donne un résultat assez gênant suivant une équation entre problèmes de couples, coucheries extestines, et suicide assez peu (trop) équilibrée, alors que (merde) ses tromperies n'étaient qu'un aspect des trucs qui le rongeaient, une conséquence et non une cause comme ça a l'air d'être ici présenté, ce pauvre mec presque muet et épileptique qui danse comme un grand malade qui a fini). Beau dans son noir et blanc déjà déphasé, dans son Angleterre migrante et ses bagnoles teufteufantes encore, un mec un groupe qui fait font son leur son truc, se dépasse lui-même et se retrouve comme un con à devoir aller là où il est déjà. Puis les côtés, les marges tremblantes, avec un mec (Sam Riley) qui joue Ian Curtis tout triste et ivre de rien, tout étrangé de devenir.

Je me demande encore de quelle couleur seront les bouquins de la Pléiade du XXIème siècle. Rose bonbon, épinard, céruléen, kiwi kaki caca d'oie. Et qui sera le premier estampillé nouveau millénaire.

En ce moment je lis l’or, de Blaise Cendrars, l'histoire de Johann Augustus Su(t)ter; et The Magic Kingdom, de Stanley Elkin, l'histoire de gamins anglais en glaise qui vont à Disney World pour s'amuser un peu peut-être avant d'achever leurs phases terminales. Henry Miller aimait Cendrars. Henry Miller aimait Knut Hamsun. Hamsun a été, en 1920, prix nobel de littérature. Le 2007, c’est demain qu’on sait et qu’on s’en foutra un peu plus. Elkin est magnifique.

Je voulais le signaler chez g@rp mais ai probablement oublié, ça me revient maintenant et pendant que je suis là autant continuer à faire bouger mes index sur mon clavier. Mon exemplaire folio de Madame Bovary est contaminé par La Maison des feuilles. Page 60 (première partie chapitre II), "Une jeune femme en robe de mérinos bleu garnie de trois volants, ..."
Mon bleu (en noir) disparaît, la vérité est ailleurs (une page quelconque plus avant dans le roman).