11.2.08

"Who said who to what now ?"

Bien, une pause imposée dans un flot (pages 504 à 535, une bonne partie du chapitre XXXII - What In Love Or Sex Isn’t Odd ?, effectivement) d’anecdotes et de questions sur le sexe et la féminité, la masculinité aussi, un peu moins, l’amour, qui rappelle déjà l’essai fameux donné quelques centaines de pages plus tôt (chapitre XII - The Controversial Essay, bien nommé), papier publié dans Quink et qui a alors provoqué l’ire de quelques féministes, peut-être d’autres gens aussi sait-on jamais, qui débutait par le fabuleux « A creative women is an oxymoron. », phrase effectivement titillant sur la provocation pour entamer comme les cow-boys dans les saloons, qui m’a fait disons rire cinq bonnes minutes, titillant certes mais sans tituber, passant quarante pages durant le pourquoi du comment, aspects étonnants et pourtant évidents—bref, l’amour et le sexe sont bizarres, une flopée de choses pour nous convaincre que tout en eux l’est ; au niveau de la taille je suppose que c’est à peu près aussi long qu’une moitié ou deux tiers voire la totalité d’un bouquin comme Arrêter d’écrire, à la différence qu’ici les anecdotes, parfois déjà citées plus tôt d’ailleurs (par exemple le « Il n’y a pas de nom dans la langue anglaise pour désigner quelqu’un qui commet un inceste. » Peut-être insecte, oui. Y en a-t-il un en français ?) , sont dès le début entraînées dans la logique du texte existant avant, revêtent chacune une tension, s’accumulant pour surgir dans les questions relativement ouvertes posées, couvrant au passage la religion et l’histoire—

Reprenons, quelques jours plus tard, alors que je me suis bloqué à deux pages de la fin. Eugene Eyestones écrit sa chronique sexuelle, sort avec Laura Warholic pour, eh bien à la base on dirait qu’il ne sait pas réellement, chose étrange pour un analyste de son ordre, petit à petit on se doute qu’il s’en sert, sans vraiment le savoir, autant pour se plonger dans un échec, avoir des idées pour sa colonne, se plonger dans les bizarreries d’une Laura et ses millions de défauts, remplir. Il fait ça. Se baladent à travers les U.S. of A., parfois se font la gueule, Eyestones se veut gentil, ne fait qu’irriter. Voilà, Laura est volage, du moins assez peu fidèle, elle se—en gros il ne se passe pas grand’chose, discussions autour d’un café entre collègues, sur la Bible et les femmes, discussions à travers un téléphone, vadrouilles en bar lesbien, tout cela n’est qu’une base bien solide sur laquelle se forment des millions de choses, de connexions et de paroles maladives, échanges à la longueur ébouriffante dans le mal à chercher (rappelez-vous le procès à la fin des Frères Karamazov, les plaidoiries et relancées effrayantes, dont la longueur jouait avec les nerfs, avec le temps réel, créant en soi un décalage malade, il est probablement impossible de s’exprimer autant, avec tant d’éloquence on n’en parle même pas, les tempos toujours présents, les invectives en groupes de mots se répondant à demi-heures de distance, distances, rebonds d’ombres, d’une manière générale tout Dostoïevski et ses personnages discourant en large, peut-être un Aliocha qui dira à son frère qu’il est pressé mais prendra les moments qu’il faut pour évoquer, prendra le feu pour le transmettre avant de repartir espérant avoir brûlé celui en face, peut-être plus actuellement et moins longuement meussieu P. Roth), les listes géniales d’informations ou de gens, de types, une foule un monde se créent en trois lignes, une population hétéroclite pourtant réunie autour de traits, de communs, une telle densité à chaque page, laissant sa traînée pour les suivantes.
Quelque chose de terrible est arrivé.
Terrible aussi mais constant, le bruit qui gêne des amis et collègues un peu dégueulasses, des autres mecs, enculés notoires, antisémites raisonneurs, mais attendez, on peut estimer que tout cela est bien long, 878 pages serrées, avec il est vrai ici et là quelques notes de musiques, que « on aurait pu couper facilement 200 pages ». Pourquoi pas. Le principal problème de ce bouquin, c’est sa cohérence absolue, qui rend toute velléité de découpage caduque : vouloir retirer 200 pages, 100 ou moins même, c’est probablement ne pas avoir envie de lire Laura Warholic dans son entier, ne pas le lire. Il n’y a pas, à proprement parler, de temps mort. Ni de « mou au milieu », ni de vagues d’intérêt, les passages ne s’intégrant qu’à peine à l’histoire arrivant et suivant la même logique que le reste. C’est à prendre d’un bloc, pas linéaire forcément, à l’inverse en lire quelques passages ici ou là peut donner une idée générale, avoir lu l’ensemble du roman, hors les informations, avec seulement un douzième effectif est selon toute vraisemblance possible. Pourtant, si le blocage de ce type est moins grave, il n’en reste pas moins gênant : ne serait-ce que pour suivre un peu E² (Eugene Eyestones), voir la façon dont ses mono- et dialogues cannibales s’intègrent, observer le mélange d’érudition et de rigolade, les sujets les plus graves et les comiques les plus crétins ou scabreux, les fonds de tiroirs et les fonds de culottes (tiroirs : les échanges poussés à coups de citations bibliques, les réflexions sur l’état de ceux unis d’Amérique, les théories sur le relationnel entre genres, on pourra aussi apprendre que la pédiophilie est l’attirance pour les poupées, que le « psychrotentigineux » est sexuellement excité par le froid (en français c’est moins drôle, on dit un cryophile apparemment), qu’un autoassassinatophiliaque rêve de son propre meurtre (étonnant), etc. ; culottes : une fameuse virée dans un bar lesbien, les insultes à tout va, la bêtise et les fous, fanatiques et autres personnes pas spécialement recommandables, etc.), pas dans la pédanterie mais dans un traitement de la pédanterie, une façon de l’exposer avec dérision, la forcer pour perdre son caractère premier, l’exploser pour qu’elle devienne normale, rayonnante et rythmique, s’en servir comme d’un moteur et non un étal, c’est très… impressionnant, des vomissures sortant de personnages exagérés, peut-être pas tant que ça, éclats sales fleurissant rien n’a le temps de faner.
Ecluser la médiocrité, l’entrer pour imploser.

C’est un peu aussi Fermi et son paradoxe, étendu aux relations humaines[1]. Comment peut-on, même dilaté dans le temps, ne pas s’apercevoir plus tôt de ses erreurs, comment n'ont-elles pas surgi dans une nuit saucissonne ou un jour crâmé ? Pourquoi ne nous explosent-elles pas à la gueule plus tôt ? L’épiphanie n’en est que plus belle, mais pourquoi ? En avançant vers cette fin terrible, la réponse est au milieu des pages, dans les idées d’E², ses façons cultivées et son ouverture à serrure, sa recherche inversée, sa précision amoureuse, son éloquence coléreuse.


[1] En gros, « si les extraterrestres existent, où sont-ils ? Comment se fait-il qu’on ne les ait jamais vu ? S’ils sont assez malins, ils auraient déjà dû venir nous dire bonjour ». La réponse la plus simple étant qu’on n’a pas d’yeux. Je préfère ma version avec les voyages dans le temps (pas incompatible avec l’autre d’ailleurs).

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