28.3.08

Say "cheese"

Est un moment dans la vie d’un lecteur où le mot « souris » se voit immanquablement collé à Kafka. Pas cafard, pas même métamorphose, pas à cette échelle, peut-être procès. Mais « souris ». Pas non plus Mickey ou une autre petite bestiole anthropomorphe, mais la souris en général, l'idée de souris, individuelle comme collective. Quand Roberto Bolaño intitule une de ses nouvelles « Le policier des souris », on est déjà, au moins un peu, envoyé. Et quand quelques moments plus tard on s’aperçoit que José, le policier, a une tante qui s’appelle Joséphine et est cantatrice, il n’y a aucun doute possible, ça ne peut simplement pas être une coïncidence : la toute dernière nouvelle écrite par Kafka (composée en mars 1924 et publiée le 20 avril, Kafka alors moribond dans un sanatorium) s’intitule Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris.
D’une manière générale, ça n’a rien de réellement étonnant, quelques thèmes sont connexes (autorité, oubli, perte, combat, tunnels), même si traités d’une manière différente, chez Bolaño et Kafka, et ici se retrouvent combinés et imbriqués un peu plus profondément.

La souris suppose que l’histoire se déroulera dans les égouts, lieu évocateur, tant par son aspect supposé de cloaque grouillant que par son existence, littéralement sous-humaine.
Si les deux nouvelles n’ont pas grand rapport (Le policier des souris suit Pepe le flic dans la résolution de meurtres, insolubles même après que l'on ait trouvé le coupable, alors que Joséphine la cantatrice raconte l’histoire de Joséphine en rapport à son public, son chant comme mode de ralliement et de convergence triste), les deux sont parcourues d’une tristesse maladive et surtout, comme en un dernier écho, le nom de Joséphine et sa présence, qui allaient à la fin du texte de Kafka, se perdre dans l’oubli prolifique de ses frères multipliés, existe encore chez Bolaño, lui accordant un sursis réel. Le peuple souricier se voit, en combinaison de l’égout, vêtir d’un aspect de groupe immanquablement sur le bord du désastre ou de la catastrophe. C’est d’ailleurs l’aspect qui prévaut chez Bolaño, où les belettes et les serpents aveugles ne sont jamais bien loin, et où c’est l’arrivée d’un conflit « interne » qui lance les pérégrinations de Pepe. Chez Kafka il y a certes un conflit, mais il est mis en sourdine.

La comparaison, si elle peut probablement être poussée (les premières phrases à voir déjà), ne le sera pas ici. Simplement savoir que le personnage de Joséphine, évoqué au détour de dialogues entre Pepe et d’autres souris, correspond effectivement à la figure qu’elle avait chez Kafka (par exemple et pour être rapide : « les membres de mon peuple accédèrent ou firent semblant d’accéder à ses caprices. » (p. 60, le gaucho insupportable, collection titres, Christian Bourgois) alors que toute une partie, sinon l’entièreté du texte de Kafka repose sur la position ambiguë à plus d’un point qu’elle entretient par rapport aux autres (à toutes les autres) souris, chantant selon un art que l’on ne comprend pas parmi ses congénères et se méprenant elle-même sur cet art).

Le policier des souris est aussi, à son échelle, une petite Partie des crimes.

2 commentaires:

Eric Bonnargent a dit…

Ah ! Otarie ! Quel bon papier ! Et quelle misère pour moi : j'avais l'intention de préparer un papier sur ce sujet. Cela fait longtemps que j'ai lu cette nouvelle de Bolano et ces temps-ci, j'y pensais de plus en plus...
En tout cas, bien vu, très bien vu.

François Monti a dit…

Cette nouvelle est assez extraordinaire.