26.4.07

Contre le jour, huit fois cent pages plus tard. Point hun sur deux.

« Hell, Anarchists ain’t the only ones with ideas about the future. » nous lance en page 285 Ellmore Disco. De quoi rigoler — un peu —, en dépit de l’évidence du propos, de l’inexistence ou au mieux la fondue de l’anarchisme dans la soupe (ça bubulle). Peut-être pas (ou moins seulement) en 1900. Quoi qu’il en quoi qu’il en soit, mon marque-page a l’air de moins en moins ridicule d’un point de vue de tranche, on doit pouvoir trouver un peu d’encre sur deux ou trois pages, mes notes qui n’en sont pas ne servent finalement à rien, et Thomas Pynchon est rigolo.

Je peux donc estimer m’approcher après quelque(s) 800 pages : le sujet principal d’Against the day est le Temps, qui coule avec sa majuscule — non, le Temps en tant que sujet est bien trop vague, ici Pynchon traite plutôt au milieu des aspects du temps de ce que la civilisation lui est en rapport, d’un côté le progrès, l’évolution, de l’autre l’histoire, en marche. Bien évidemment leurs dérives potentielles, latentes, et celles déjà rencontrées, les faisant parfois se croiser dans un flot hors du temps (quelques unes des explications autour de l’événement de Tunguska notamment). Il n’est pas question de jeter au feu palpitant toute idée de progrès, mais plutôt d’être lucide sur ce que tout cela implique a impliqué impliquera, même si les trois sont un seul, et que tout le monde sait plus ou moins, en ne diluant pas ça dans une histoire, un roman, mais en amenant l’histoire, le roman à un niveau qui ne demande pas spécialement de dilution. Pynchon érode le temps, le difracte, l’use pour exposer le réel, le mettre à nu dans ce qu’on n’y voit pas, le fait cohabiter avec son futur inconnu pour comment dire pour luminer les diverses dimensions, les réunissant en une polyphonie explosive.


Un peu plus haut j’ai lancé en trois mots que dans le désordre drôle est Pynchon. Ça se remarque par tout et n’importe quoi et jusque dans ce qu’il fait de l’époque qu’il conte (en gros de 1893 à 1907 plus ou moins) ; les personnages de dime novels, les lecteurs de dime novels, une certaine fascination de quelques personnages pour le cul à peu près au moment où Sigmund Freud barbotait dans et publiait ses Essais sur la théorie sexuelle (sans d’ailleurs que Freud soit évoqué dans ATD), avec une apogée qui se trouvera dans une relation avortée très douteuse et ridiculement drôle—« Reader, she bit him », à la page 666 bien évidemment (coincoïncidence)—entre un chien diablement tentant et un mec un peu perdu. Aussi dans tout l’aspect d’estudiantins matheux en diable, étudiant Riemann et ses zéros, flirtant à base de maths, toujours obsédés par l’évolution d’une science qui les dépasse et tentant de rattraper leur retard plus que d’avancer encore, des sortes de gens en retard sur ceux en avances, qu’on qualifie quand même d’en avance si l’on oublie les échappés sur le col de l’avancée, sans trop savoir qui du pénultième du peloton ou du spectateur arrivé au hasard est le plus crétin.

Que l’on se perde dans la foule de personnages croisant, restant est presque normal. Leurs noms sont pourtant là, là pour nous rappeler qu’on ne suit rien de réel ; Oleander Prudge, Pléiade Lafrisée ou Stilton Gaspereaux ne sont pas réels. Et pourtant de cette abondance de noms peuvent ressortir des choses ; d’un côté ces noms originaux faute de meilleur qualificatif deviennent la norme car seuls représentés, une norme qui passe devant celle admise, conférant une nouvelle note à la partition drôle et imposante d’ATD ; d’un autre, ces noms prime abordés comme idiots et irréels pourraient peut-être après tout exister, loin des milliers de John Smith ou Martin Dupuis, exister et être combinément (on ne trouvera toujours qu’une Jacintha Drulov et un unique Clive Crouchmas) bien, bien plus nombreux, devenant les nouveaux mesdames mesdemoiselles messieurs tout-le-monde, les fameux, augmentant cet aspect de folie devenant la norme. On peut même considérer à partir de là que n’importe lequel de ces noms renferment en lui une dualité entre ce qu’il est et ce qu’il aurait été chez quelqu’un d’autre, une dualité qui se combine parfois à celle qui veut que le personnage corresponde plus ou moins à son nom voire l'inverse (le nom Traverse (Vibe aussi), le plus présent du bouquin, semble assez porteur de sens), ou qu’au contraire son nom ne soit qu’une partie mineure du personnage (en prenant les cinq membres du vaisseau Inconvenience on trouve quand même Randolph St Cosmo qui a un nom de magazine féminin, Chick Counterfly qui… eh bien qui s’appelle Chick, Lindsay Noseworth qui a un prénom principalement porté par des femmes (je fais ce que je peux (et puis Nose Worth... come on), Darby Suckling dont le nom me fait immanquablement penser à l’Ugly Ducling—le vilain petit canard…—reste Miles Blundell, qui eh bien pour lui je ne sais pas, il est peut-être brun en fait, et pourtant ces cinq guignols ont des noms prédisposés à être dans des dime novels au sein de—bref). Que ces noms soient (auto-)parodiques et drôles est un bonus non-négligeable… Ruperta Chirpington-Groin est là pour se poser, pour indiquer que tout est faux et pourtant tout est vrai. Quand Merle Rideout nous balance un « Maybe what you’re looking for isn’t really what you’re looking for. Maybe it’s something else. […] Fact, there’s a whole catalogue of things you’re not looking for. », il ne fait qu’énoncer un fait, un fait qui fait qu’ATD lui aussi est une mine à creuser, une femme à déshabiller, une surface à gratter et qui pourtant est déjà entamée, et que ça s’applique à tout et n’importe quoi.


« Mysterious and multifold is the Way of the Potato. » Tout est là, des religions débiles combinées à des théories scientifiques venues du futur ou du passé, on ne sait plus trop. C’est d’ailleurs pour ça que des domaines comme la photographie où la magie sont représentés en bonne place dans un roman (les deux étant principalement axés autour de Dally Rideout, qui elle-même devient une actrice, soit une menteuse professionnelle, tout est convergent) où tout est là et où le monde se voit autrement ; la photo révèle, la magie concentre l’attention à un endroit voulu pendant qu’on se prend une tarte, comme les méchants dirigeants du monde. Et dire que Sylvain Mirouf a fait tendre des milliers d’autres joues…

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