18.4.07

NOW SINGLE UP ALL LINES !

Against the day est le sixième roman d’un auteur de bientôt 70 ans. A apprécier d’autant plus qu’il est peut-être son dernier. Et puis quand même, Thomas Pynchon n'est pas n'importe quel guignol.

Encore une fois je me suis fait prendre. Dès le départ, les premières évolutions des Chums of Chance (C. of C.), j’étais baisé, j’allais continuer, continuer, petit à petit probablement, mais continuer. Pour base un équipage d’aéronautes, vêtus comme des rigolos, à bord de leur vaisseau l’Inconvenience, se baladant en haut, plus haut, hors du monde, se posant à la World’s Columbian Exposition (Chicago en 1893 donc) au milieu d’autres et d’hordes ballonnées ; ces mêmes Chums of Chance qui sont déjà des héros de bouquins aux titres aussi aventureux que « The Chums of Chance at Krakatoa », « The Chums of Chance and the Evil Halfwit » (le premier cité, et rappelons que pour bien des gens, George Bush est l’incarnation du mot halfwit) ou « The Chums of Chance Search for Atlantis » bloquant pour un certain temps la limite entre fiction et réalité au sein même de quelque chose qui n’en a pas encore besoin ; des embrouilles au sujet de Nikola Tesla et de ses inventions qui pourraient anéantir bien trop de choses ; une première incarnation d’un aspect du titre en page 14 —

There remained in the western sky only an after-glow of deep crimson,
against which could be seen Miles’s silhouette, as well as those of the heads of
the other boys above the curved rim of the gondola.


— encore que, non, on peut en estimer d’autres plus faibles (de très loin on peut estimer le C. OF C. PROPERTY jaune au pochoir (donc stencil, comme le Herbert de V.) sur fond noir (page 9) de la même manière) — ; Lew Basnight, personnage dès le début très intéressant, avec sa mémoire étrange, sa capacité à remarquer, indexer d’un coupon d’œil, et surtout sa capacité à sortir (« He had learned to step to the side of the day », page 44) des regards, du monde, du présent, du jour, à passer dans un monde où il est aussi invisible que ces fameux clochards qui tombent dans la forêt ; des anarchistes terroristes ; des noms totalement hallucinés : Heino Vanderjuice, Chevrolette McAdoo, Randolph St Cosmo, ... et d’autres choses en moins de cinquante pages chrono. Le tentaculaire est mis en place. Tentaculaire peut-être, serpentiforme (Pynchon—Pythonisse) probablement, d’un serpent qui se mord la queue en réussissant à faire ressortir anneau sur anneau, concentriques et relativement convergents.

Autour des Chums of Chance, à chaque fois reparaissant comme si un de leurs nouveaux romans d’aventures s’écrivait, sans que le temps passé entre deux aventures ait besoin d’être expliqué, comme s’ils étaient le V. de V. mais dénué de toute sa symbolique et des liaisons, restant simplement un trait d’union volant ; qui débarquent dans la glace ou à Venise avec leurs vis-à-vis russes, autour de ces C. of C. s’articule l’histoire en marche. Ne s’articule pas vraiment d’ailleurs, pour l’instant leurs actions ne sont pas forcément connectées au reste, reste qu’ils ont pour l’instant (soit 250 pages environs, pas forcément de quoi faire quelque assertion sur l’ensemble du bouquin) un rôle de pivot au milieu des jeux de mots idiots (le fameux steak Meat Olaf ou encore le révérend Lube Carnal), des anarchistes de père en fils, des scientifiques rivaux jumeaux (Renfrew et Werfner, on renverse), des espions qui s’oublient un peu et ne savent plus vraiment pour qui ils bossent, s’ils sont double agents ou plus agents, des familles aux destins croisés, des magiciens voleurs de femmes, des grands magnats prêt à tout pour le rester, des expériences électromagnétiques et des dieux du courant, explorations scientifiques et hauts moments d’histoire, histoires d’univers parallèles, d’endroits où le temps n’existe pas et n’a jamais existé. Issus d’une lignée de dime novels dont ils ressortent (Pynchon poussera le vice, la drôlerie jusqu’à faire lire une de leurs histoires à Reef Traverse, alors dans une posture délicate), ils parcourent et picorent le monde, toujours à la pointe de l’avancée scientifique, sans trop le savoir,

entre les pointes et amorces laissées par Pynchon sur tout et rien, surtout aérien, l’éther, le vide le temps la lumière l’électricité, dans un dédale d’hypothèses plus ou moins confirmées et confirmables, sur les bilocations : l’ubiquité, l’ubiquité décalée qu’est la réincarnation peut-être ; sur le monde tel qu’il était et est, dans l’invisible et le progrès qui dérape sans le vouloir, glissant comme une savonnette dans un douche carcérale, avec les résultats qu’on associe à ça, à plus grand échelle figurée.

Tout ça à vitesse variable, toujours haute, dans une course vers on ne sait quoi, une course folle faite de bonds entre univers probables (on en revient aux C. of C. qui passent d’un endroit à un autre, non touchés par le temps dans leurs pages et leurs aventures), si bien que quand on tombe sur deux coquilles presque à la suite, deux coquilles sur des noms de personnages (Renfrew devient Refrew page 240 et le Docteur Coombs De Bottle devient Coombes la page suivante), on en est réduit à se demander si Pynchon titille comme un con, enlève là une lettre pour en mettre autre part, ne vérifie pas qu’on suit parce qu’il sait qu’on suit, mais rigole d’une autre manière que d’habitude, ou si simplement l’édition est un peu (un peu) foirée.

Et quand Pugnax le chien lit Eugène Sue (dans le texte) ou Henry James, on sait qu’on est sorti, nous, du monde montré et qu’on se retrouve dans le monde sans temps si souvent évoqué, sans pouvoir y trouver tout ce qu’on devrait y trouver.

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