Sorti en tout début d’année et quelques trois ou quatre ans après son homologue anglais, Chien Jaune (Yellow Dog) est le dernier roman traduit (fin 2006 est sorti House of meetings) de Martin Amis. L’anglais.
Paraît-il que les critiques négatives en diable ont harponné le roman – un buzz qui s’est crée par la critique de Tibor Fischer, qui a simplement énoncé (rendons à César le fait que c'est wikipedia qui m'a dit ça et que je n'ai pas vraiment revérifié derrière) qu’il aurait eu dans l’ensemble peur, alors qu’il lisait son bouquin pépère dans le métro, que quelqu’un regarde par-dessus son épaule, que ce Chien Jaune était, pour lui qui suit Amis depuis bouh-là ses débuts au moins, comme voir son oncle préféré se faire choper pour s’être branlé dans une cour d’école. Ça ne risque pas avec moi, c’est mon premier Amis. Me voilà soulagé, au pire ce sera un mec inconnu qui se tripote en regardant des gamins, ce qui est j'en conviens gênant, mais au moins dans la seule mesure où j'entendrais parler de lui...
Chien Jaune est l’histoire d’histoires ; de Xan Meo, acteur et maintenant écrivain, fils de gangster, divorcé deux fils, puis remarié deux filles, qui se fait agresser, sans savoir pourquoi, à la terrasse (on va dire ça) d’un bar alors qu’il n’a pas encore pu boire ses cocktails, finement nommés des Enculés (oui, le monde est un porno géant), qui subséquemment nourrit quelques passions étranges ; de Clint Smoker, journaliste de son état, presse douteuse, en grande partie topless, articles de fond très pointus on n’en doute pas, qui rencontre une fille sur le net (là où la taille n’entre pas immédiatement en compte) et part interviewer une reine du porno à Baiseville ; d’Henry IX, feignant Roi d’Albion et père d’une adolescente prise en photo dans une baignoire comme une Marie Antoinette décuvante, à fins de le faire chanter ; et celle — rapide et collée là pour donner un peu de relief au reste — d’un avion avec un cercueil dans la soute, qui rencontre quelques problèmes en ce quatorze de février, dont un NEO (Near Earth Object) grand comme L.A. et qui lui frôlera les fesses ; de ces quatre histoires qui s’emboîtent dans un fouillis vengeur un peu chiant.
Dans l’ensemble, on notera une gradation du moins au plus fin, partant de Smoker pour arriver non à Henry (la cour et sa vie n’ont rien de bien intéressant une fois le chantage et les photos compromettantes sorties) mais à Xan Meo, en dépit de tout ce dont l’afflige Martin Amis. Techniquement, la richesse et le raffinement supposés inhérents à la royauté n’ont pas d — n’existent pas. Xan est le mec normal de l’affaire, peut-être un peu haut du panier par ses revenus et avec un passé chaotique, mais restant proche de considérations de tout un chacun. Il est normal – si ce n’est son choc post-traumatique étrange. Ce qui relie les trois et globalement les personnages connexes eux aussi, en dehors de serpentifications de l’intrigue, est simple comme bonjour, même si ça demande un peu plus de consentement de volonté ; le cul. L’occasion d’offrir d’un côté des interventions éclairées sur l’évolutivité du porno en Californie (et donc dans le monde entier), de l’autre des réflexions sur un couple en péril, du troisième des idées sur la monotonie bien minutée du sexe royal, du deuxième des pensées perverties sur l’inceste et du premier le relationnel par le web, aveuglément de premier abord, du premier toujours les fameuses pompes à chibres et autres pilules revigorantes qui ont un moment parsemés les boîtes mails du monde entier.
Dans le cul, tout se relie aussi ; un sosie de la Princesse Victoria se fait estoquer dans un film pour adultes qui connaît des bénéfices incroyables, les photos de la Princesse n’ont rien à foutre dans le journal de Clint (ce sont des faux ! - communiqué officiel), Henry IX et ses sujets sont fascinés par leur fille, comme Xan, etc.
Rapidement : Martin Amis opte logiquement pour des niveaux de langage collant aux protagonistes, va de l’accroche journaleuse bas de gamme à l’argot gangster en passant par le parler royal cul pincé et quelques mails écrits selon l’écriture cryptographique chère aux jeunes tapoteurs ; une certaine réalité, logique est donc là en dépit de la largeur du panel raconté. On repassera pour le « feu d’artifice stylistique » et la réinvention de la langue évoqués au dos du bouquin, on rigole même un peu, mais l’ensemble est plaisant, intéressant dans sa volonté de capter une partie des différents parlers, du présent. On perd d'ailleurs un peu de jeux à la traduction (un personnage féminin qui s'appelle He, ...), mais tant pis, c'est aussi drôle de se les retraduire en même temps.
Le fait est qu’Amis brosse un portrait qui se voudrait presque embrasser toute une société. J’ai du mal à admettre que le portrait d’ensemble soit réussi ; il l’est assez dans des personnages finalement réalistes dans leur bêtise, crédibles dans l’absurde ; dans sa façon de parler du cul, de son rapport à la sauvagerie, de leurs rapports au monde entier, et donc aux notions antipodistes (symbolisées par les filles de Meo et d’Henry, soit l'innocence qui devient pervertie), crûment, sans être trop heu idiot, les relation intergénérationnelles qui ici partent un peu partout. Reste que l’ensemble repose sur des bases scénaristiques un peu branlantes, l’histoire ne se suffit pas réellement : part dans des sens qu’il mène assez bien mais laissant un goût flou en bouche : on aimerait penser qu’il y a plusieurs niveaux dans cet échafaudage de gens qui se croisent plus ou moins, plusieurs emberlificotis d’histoires, avant de s’apercevoir simplement que non, que le tout déçoit, en fait trop (ce n’est d’ailleurs pas un défaut en soi), est une stratifications d’histoires qui se gratte trop aisément. Le roman se suit, on peut d’ailleurs se perdre agréablement en ne se souvenant plus qui a quel rapport avec quoi, mais l’impression qu’Amis n’a pas été à la hauteur pour faire ce qu’il comptait faire est là, n’a pas eu l’intention de faire mieux, a laissé aller. Plus que l’inachevé, c’est l’élaboration foirée, un savoir-faire qui se désamorce lui-même, des ficelles un peu trop visibles, un ventriloque qu’on voit remuer les lèvres, la liste d’images crétines du genre pourrait être longue.
Bizarrement plaisant parce qu’il tire de ses histoires idiotes et folles un ennui, de cet ennui quelque chose de plus présent, en montagnes russes. Bizarre. Une sorte de ratage contrôlé. Etrange…
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