Le plus étrange est son efficacité—sa rapide efficacité.
Il y a quelques jours est sorti traduit Arrêter d’écrire, de David Markson, qui se veut un roman (le titre original étant This is not a novel, Ceci n'est pas un roman, renvoyant évidemment à Magritte ou à Aristote si l’on veut) sans personnages, sans action, sans descriptions, mais incitant le lecteur à tourner néanmoins les pages. (p.13).Viennent trop vite pour que vite soit adapté une flopée de hum anecdotes on dira, principalement sur des écrivains et artistes, souvent drôles (« Henry James s’est caché un jour derrière un arbre pour éviter d’être obligé de passer du temps avec Ford Madox Ford. » page 29—il faut dire que le seul nom Ford Madox Ford m’a toujours fait rire, un peu comme William Carlos Williams, mais quand même), s’intégrant au texte, en devenant le corpus principal. S’amoncèlent les morts d’écrivains donc, de compositeurs et autres, des questions, citations parfois, les avis des uns sur certains autres formant des correspondances sans réel intérêt comme le sont les petits hasards du quotidien. Et Ecrivain, qui en a assez d'écrire, continue à piquer, à copier et à coller, au milieu de tout ça nous fait exemple de parole magique ; s’il dit que ce bouquin est un poème épique, on veut bien le croire. Exprimer une idée la rend réelle, concrète même. Il s’explique, fait vivre par ses quelques interventions et explications (parfois) le flot de non-histoire.
Jouant assez habilement de son effet éphémère d’expérience (un bouquin de ce genre est la limite acceptable, on aurait pu prendre quelques pages de plus, le double étant un maximum honorable, mais un second roman suivant le même principe serait un gros foutage de gueule), Arrêter d’écrire devient—est—rapide, rythmé, régulier, en un sens rassurant, sans savoir si c’est une bonne chose ou non. Sorte de triple ou quadruple litanie à variantes se fondant, s’épissant en un tronc qui vibre peu mais bien.
Se faisant directement écho ou se répondant à quelques pages d’intervalles, les faits (et gestes) accumulés en collage culturel sur l’absurde et la mort, l’absurde et l’art, l’art et la mort, les trois motifs majeurs de l’Ecrivain, artiste absent, donnant un portrait et la justification du suicide progressif et drôlatique de ce roman et de son auteur, de son absurdité pa- et latente, de son statut de cul-de-sac, de jeu, de question très ouverte et de rien du tout.
Connexions en nombre indéfini qui installent un message forcé de faire des bulles à la surface, entre les lignes, dans les interstices aqueux de la page peuplée de noms. Subtil à force de ne pas l’être assez. Un peu chiant à exprimer en mots vu qu’on suppose qu’en dehors de quelques inexistants esthètes exégètes et semelles de vent, tous ceux qui en parleront en diront des choses semblables et de semblable façon (en soi peu palpitante d’ailleurs), qui plus est ces choses en nombre réduit. Intéressant.
5.9.07
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3 commentaires:
Je connais au moins trois livres de Markson écrits selon le même procédé: "Wittgenstein's mistress", "This is not a novel" et "The last novel". Et tu as raison, pas facile de dire quelque chose d'original là-dessus. Je m'y colle la semaine prochaine. Pour quel résultat?
Deux autres de la même façon ? ça semble assez peu engageant (encore que, on peut briller en société avec ce qu'on trouve dedans).
Le procédé est le même mais il y a des différences significatives entre les contenus quand même.
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